mercredi 16 septembre 2015

Marguerite


"Il y a deux conduites avec la vie : soit on la rêve soit on l'accomplit". Marguerite, l'improbable héroïne du dernier film de Xavier Giannoli, épouse merveilleusement cet adage. En s'inspirant de la vie de Florence Foster Jenkins, riche américaine du début du XXème siècle persuadée d'être une cantatrice d'exception alors qu'elle était une épouvantable soprano, le cinéaste met de nouveau à l'honneur les personnalités qui ne sont pas dans la note, à l'instar du chanteur de bal de Quand j'étais chanteur. Et signe résolument son meilleur film. 

Dans le Paris des années 20, Marguerite Dumont est une femme fortunée passionnée de musique et d'opéra. Elle s'époumone régulièrement devant son cercle d'habitués qui n'ose pas lui dire qu'elle chante en réalité affreusement faux. Son mari tente d'entretenir l'illusion mais les velléités de son épouse et son envie de se produire à l'Opéra de Paris, face à un vrai public, vont durement compliquer sa tache. 

Catherine Frot

Xavier Giannoli recrée d'abord une époque nourrie d'apparences et de faux semblants. La beauté glacée de la photographie, aux teintes presque désaturées, évoque une société hypocrite et corsetée qui, par amusement et par intérêt, aime assister aux calamiteux récitals de Marguerite, sous l'oeil effaré de son mari qui n'ose pas se montrer dans ces pénibles instants. Le spectateur est d'ailleurs pris entre deux eaux, ne pouvant s'empêcher de rire face aux grotesques dissonances de la diva mais en même temps embarrassé devant l'humiliation qu'on lui fait subir, bien qu'elle soit inconsciente de la situation car délaissée dans le mensonge. Giannoli scrute sans complaisance une cruauté de salon, feutrée mais néanmoins dévastatrice.

Catherine Frot et Michel Fau

Seule Marguerite, à la fois naïve et passionnée, flotte au-dessus des railleries. Elle a une force, celle d'être doublement amoureuse, de la musique et de son mari. La grandeur de son amour pour l'opéra va la conduire à retrouver celui de son mari qui ne la regardait plus. Le film devient alors bouleversant car le cinéaste filme le portrait d'une irréductible et d'une exaltée, protégée par un époux qui est persuadé que si la vérité venait à éclater, elle en mourrait. A l'image de la bande originale qui alterne les grands airs d'opéra à la magistrale réorchestration du King Arthur par Michael Nyman, le comique le dispute au tragique dans une mise en scène savamment orchestrée par son entourage, attachée à cette femme au-delà du raisonnable. 

Giannoli prouve une fois encore qu'il est un réalisateur avisé, accordant de l'importance au moindre personnage. Ainsi, du chauffeur et photographe (formidable Denis Mpunga), metteur en scène ambigu sublimant la vie de Marguerite, à son professeur de chant (Michel Fau), irrésistible incarnation de l'excentricité des saltimbanques, en passant par son mari (touchant André Marcon), tous entourent magnifiquement Catherine Frot. Après plusieurs années d'absence, la comédienne trouve un rôle majeur, jouant à merveille l'aveuglement face au cynisme, avec une intensité qui émeut. Son regard dévasté lorsqu'elle découvre l'infidélité de son époux puis sa caresse sur son visage avec ses mots "Mon Mari" disent à quel point son interprétation est habitée. S'il n'y avait qu'un seul film français à voir en cette rentrée, il se nommerait Marguerite

Antoine Jullien

France / République Tchèque / Belgique - 2h07
Réalisation et Scénario : Xavier Giannoli
Avec : Catherine Frot (Marguerite Dumont), André Marcon (Georges Dumont), Michel Fau (Atos Pezzini/Divo), Christa Théret (Hazel). 

Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution

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