mercredi 26 novembre 2014

Night Call


"Je n'aime pas les gens". La morale de Louis, reporter aux dents longues, est dans ces quelques mots. L'humain ne compte plus, seul le sensationnel prédomine. En s'attaquant à la télé poubelle et à ses multiples dérives, le néophyte Dan Gilroy, dont c'est le premier long métrage, ne signe pas seulement un magistral pamphlet sur notre société médiatique mais orchestre également la célébration d'un acteur absolument transfiguré. 

L'action de Night Call se déroule à Los Angeles, essentiellement de nuit. On y suit le parcours d'un jeune homme, au début du film sans emploi, qui va découvrir le métier de caméraman à la recherche d'images choc provenant de faits divers aussi glauques que sanglants et qu'il revend à prix d'or pour les chaînes d'informations locales. Braquages, fusillades, accidents de la route, ces chasseurs d'images sont sur tous les coups, arrivant le plus souvent avant la police pour obtenir le meilleur angle de caméra. Des vautours qui se livrent entre eux à une guerre impitoyable. 

Jake Gyllenhaal

A contrario de certains réalisateurs tombés dans les travers de ce qu'ils voulaient dénoncer, le plus grand mérite de Dan Gilroy est d'être parvenu à faire passer les situations les plus scabreuses grâce à l'extrême précision de sa mise en scène et à la superbe photographie de Robert Elswit (le chef opérateur de Paul Thomas Anderson) qui filme la Cité des Anges comme un labyrinthe tentaculaire. Le spectateur, voyeur malgré lui, devient fasciné devant ce ballet de la mort qui servira de petit déjeuner aux téléspectateurs consentants.

Rene Russo

Ces actes, aussi abjects soient-ils, sont légalisés par le système médiatique personnifié par Rene Russo. La comédienne, vue dans La Rançon et Thomas Crown et absente des écrans ces dernières années, incarne la rédactrice en chef d'un network en baisse d'audience. Sa rencontre avec Louis et la relation ambiguë qu'elle va nouer avec lui, mélange subtil de fascination et de répulsion, va lui permettre de remonter la pente. On reste subjugués lorsqu'en coulisses, elle diffuse l'un des reportages de son apprenti journaliste. Une séquence stupéfiante qui incarne à elle seule la toute puissante machine à manipuler les images. 

A l'instar du Loup de Wall Street et de Lord of War, Night Call se veut le reflet parfaitement amoral de notre époque. La rédemption, forcément illusoire, est bannie et il ne s'agit en rien d'une vaine complaisance de la part de l'auteur mais bien d'une vision lucide et sans concession de la nature humaine. Pour l'incarner dans toute sa complexité, il fallait un grand acteur et Jake Gyllenhaal trouve sans conteste le rôle de sa carrière. L’œil halluciné, le visage émacié, le comédien, qui a perdu quinze kilos, livre une prestation d'anthologie, ne cherchant jamais à sauver ce personnage des limbes dans lesquelles il s'est voracement engouffré. Un homme sans éthique qui ne reculera devant rien, sacrifiant ses proches, intimidant ses concurrents, déplaçant les corps des victimes, qu'on aimerait presque détesté, et qui, à l'image des ses courses effrénées dans les rues de Los Angeles, fonce toujours plus vite jusqu'à l'ivresse du scoop. Se dégage alors de cette odyssée nocturne en eaux troubles un parfum de futur film culte.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h57
Réalisation et Scénario : Dan Gilroy
Avec : Jake Gyllenhaal (Louis Bloom), Rene Russo (Nina Romina), Riz Ahmed (Rick). Bill Paxton (Joe Loder). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Orange Studio.

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