mercredi 21 décembre 2011

Florilège de Noël

LE HAVRE / A DANGEROUS METHOD / DES VENTS CONTRAIRES / LES BOLOSS / LES CRIMES DE SNOWTOWN / LE TABLEAU 

Mon Cinématographe a fait un choix non exhaustif des films aux univers et aux styles très variés qui déferlent durant la période des fêtes. 


Commençons par le long métrage d'Aki Kaurismäki, Le Havre, qui avait enchanté la Croisette en mai dernier. Le mélange d'humanisme et de poésie caractéristiques de l'oeuvre du cinéaste finlandais avait provoqué notre enthousiasme (voir Cannes Jours 6 à 8). Malheureusement, certains longs métrages supportent mal un revisionnage. En effet, revoir Le Havre provoque une désillusion aussi importante qu'était notre emballement initial. Pourquoi ce revirement ? En racontant la vie de Marcel Marx, cireur de chaussures de son état, protégeant un jeune africain clandestin de la police, Kaurismäki marque à nouveau son refus du réalisme, empruntant les codes du conte à sa manière personnelle, pimenté d'un humour absurde et d'un sens du décalage qui faisaient tout le prix de ses oeuvres antérieures. Cette fois, Kaurismäki prend la France comme pays d'adoption et Le Havre comme le théâtre d'un monde perdu où l'entraide et la solidarité sont les valeurs refuges.

Si le réalisateur occulte à l'image tout élément de modernité, n'hésitant pas à insérer une DS dans un plan et un vieux téléphone dans un autre, il nous parle cependant d'un problème très contemporain, le sort des clandestins et plus généralement de la politique de l'immigration. Le cinéaste oppose alors les méchants flics, les seuls à porter une tenue contemporaine, aux petites gens qui ressemblent trait pour trait aux vieilles cartes postales des années 50. Un manichéisme temporel qui trouve ses limites et pose de réels problèmes de fond.  En effet, il se dégage du film un parfum passéiste qui n'est pas sans rappeler les films de Jean-Pierre Jeunet avec lequel, semble-t-il, on fait preuve de beaucoup moins d'indulgence. Et pourtant, le message véhiculé par Kaurismäki, qui nous dit que le passé était le temps de la fraternité contre la présupposée inhumanité d'ajourd'hui, personnifiée par le très réaliste reportage télé sur la fermeture de Sangatte et la voix-off glaciale du préfet, est caricaturale. Et le lunaire André Wilms, irrésistible avec ses répliques farfelues, ne doit pas sauver une imagerie qui nous fascinait dans les films finlandais mais qui là, une fois la première impression positive passée, reflète un regard sur notre monde assez déplaisant, amplifié par une approche volontairement nonchalante du sort des clandestins. Le rock de Little Bob et la nostalgie n'excusent pas tout. 





David Cronenberg déroute. Le réalisateur de A history of violence a pris la psychanalyse comme sujet d'études de son nouveau long métrage A Dangerous Method, qui voit Car Jung s'éprendre de sa patiente Sabina Spielrein, au grand dam de Sigmond Freud qui ne voit pas cette relation d'un bon oeil. Elle finira par entraîner une brouille définitive entre les deux hommes. 

Le cinéaste réalise un drame très beau plastiquement mais terriblement frustrant. Si le cinéaste fait montre d'un élégant classicisme, avec ses plans parfaitement composés, il semble avoir réduit son intrigue, écrite par Christophe Hampton (le scénariste des Liaisons dangereuses), à un pur débat d'idées, souvent passionnant et qui devrait ravir les experts en psychanalyse. Mais Cronenberg en oublie ses personnages. A la notable exception de Michael Fassbender qui apporte une discrète humanité à Carl Jung, les autres protagonistes existent peu ou mal. Keira Knightey joue l'hystérie dans un pénible numéro de grimaces qui, heureusement, s'estompera au fur et à mesure du récit. Quant à Viggo Mortensen, son interprétation pleine de distance vide Freud de toute substance émotionnelle. Une distance que semble avoir suivie à la lettre David Cronenberg qui nous propose un objet glacé, parfois fascinant mais qui manque de chair. Son sujet plein de souffre et de complexité, opposant la sexualité au mysticisme, aurait mérité un traitement moins... cérébral. 





Le premier film de Jalil Lespert, 24 mesures, ne nous avait pas convaincu. Des Vents contraires possède en revanche de réelles qualités qui nous font croire au potentiel du jeune réalisateur. S'inspirant du roman d'Olivier Adam, il raconte le long retour à la vie de Paul (Benoît Magimel) qui part s'installer à St Malo avec ses enfants un an après la disparition inexpliquée de sa femme (Audrey Tautou). Des rencontres inattendues vont donner à ce nouveau départ une tournure qu'il n'imaginait pas. 

Une sensibilité parcourt tout le film rythmé par les vents bretons et le bruit du ressac. Une atmosphère tempétueuse mais sereine qui est en contradiction avec l'état intérieur de Paul, un personnage difficile à cerner auquel Benoît Magimel apporte une belle intensité. Le comédien, peu gâté ces dernières années, retrouve enfin un rôle à sa mesure. Il joue superbement sur le fil de l'émotion réfrénée qui peut exploser à tout moment. Ses partenaires autour de lui (Isabelle Carré, Antoine Duléry, le toujours formidable Bouli Lanners) ne déméritent pas et apportent une belle cohérence à l'ensemble. Si le réalisateur cède un peu à la facilité dans la dernière partie, avec une résolution dramatique qui fait perdre tout le mystère à l'intrigue, il livre un film juste et lumineux sur le sentiment de perte et d'abandon que la tendre relation entre un père et ses enfants atténuera. 




Si vous aimez l'humour régressif à base de pipi caca, Les Boloss est fait pour vous. Adaptant pour le grand écran la série culte britannique Inbetweeners, le film suit quatre adolescents boutonneux partis en vacances en Crète et ne pensant qu'à une seule chose, le sexe. Le film a le mérite de ringardiser tout ce qu'on a pu voir en comédie pour ados (American Pie notamment) en enfonçant les portes du mauvais goût avec un plaisir communicatif. C'est souvent très drôle, parfois débile, un brin vulgaire mais cela vous détend franchement les zygomatiques. Au milieu des sombres sorties de ce début hivernal, voilà une comédie potache particulièrement jubilatoire. 





Changement radical d'univers avec Les crimes de Snowtown de Justin Kurzel. Inspiré d'une histoire vraie, il relate la parcours d'un tueur en série, le plus redoutable qu'ait connu l'Australie, terrorisant sa famille et prenant sous sa coupe son jeune beau-fils qui se rendra complice de ces horribles forfaits. Mention spéciale à la Semaine de la Critique et primé au festival de Valenciennes, le long métrage provoque un malaise palpable. Le regard ambigu du cinéaste sur ce qu'il filme, sans réel point de vue, pose question. Une interrogation sur la transmission de la violence filmée crûment, souvent à la limite du supportable, non pas dans ce qui est montré mais dans ce qui est suggéré. Après le saisissant Animal Kingdom, un nouveau cinéaste australien est né. Malgré son indéniable talent, la complaisance qu'il affiche par moments nous empêche de véritablement adhérer à ce film provoquant et discutable. 





Enfin, un Noël sans film d'animation ne serait pas complet. Jean-François Laguionie nous propose un étonnant voyage dans Le Tableau. Au coeur d'une toile inachevée, les Toupins, créatures entièrement peintes, règnent dans un château où sont rejetés les Pasfinis et les Reufs. Persuadés que seul le peintre peut ramener l'harmonie en finissant le tableau, Ramo, Lola et plume décident de partir à sa recherche. 

Le film est une intelligente dénonciation du racisme et du rejet de l'autre autant qu'une ode à l'évasion. Parcourant les toiles au gré de leurs pérégrinations, les personnages découvrent des univers où se côtoient une armée napoléonienne, une muse alanguie et même l'autoportrait du peintre. Son absence pose d'ailleurs au spectateur de pertinentes questions sur le pouvoir de la création. Au milieu des films en en 3D, voilà une proposition originale qui, si elle demeure formellement un peu académique, devrait ravir les enfants comme les adultes. 

Antoine Jullien

4 commentaires:

  1. Merci pour ces avis cinématographique.

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  2. Juste un mot de félicitations pour ce blog très bien fourni, utile, bien rédigé, avec des avis complets et très intéressants!

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  3. Je suis tout à fait d'accord. Merci pour ce blog intelligent, avec d'exellentes critiques. Il me plaît d'y venir souvent consulter, c'est un plaisr de vous lir :)

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  4. Merci pour vos encouragements et sachez que vous êtes de plus en plus nombreux à suivre Mon Cinématographe !

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