mardi 30 août 2011

Melancholia


La mélancolie érigée en forme suprême de l'art. Lars Von Trier n'est pas le premier à nous faire cette proposition, d'autres avant lui (peintres, écrivains, cinéastes) s'en sont emparés. Mais on n'attendait pas l'incorrigible danois sur ces terres très éloignées de sa provocation coutumière. C'est sans doute pourquoi on lui décerne des louanges aujourd'hui, nombreux sont ceux qui y voient le grand film de la maturité. Pourtant, le réalisateur semble apporter peu de crédit à son film, le jugeant, selon ses propres mots, "terne". Et si les deux parties avaient raison ? 

La planète Melancholia s'approche dangereusement de la terre. Loin de se douter du péril qui les menacent, Justine (Kirsten Dunst, prix d'interprétation au festival de Cannes) et son mari fêtent leur mariage dans une immense propriété appartenant au beau-frère de la mariée (Kiefer Sutherland). Mais au milieu des convives et de sa soeur (Charlotte Gainsbourg), organisatrice en chef de la cérémonie, Justine semble de plus en étrangère à l'évènement jusqu'à voir la soirée se déliter. Quelques mois plus tard, on la retrouve dans un état de dépression avancée, trouvant refuge chez sa soeur. Alors que Melancholia semble inexorablement englober la terre, les deux femmes se préparent à la fin du monde... 


Les premières images de Melancholia sont, il est vrai, d'une puissance visuelle sidérante. Filmés comme dans des tableaux, les protagonistes sont figés dans un espace-temps indéfini, prisonniers d'une apocalypse à venir. L'impact de ce prologue pèsera lourdement sur le spectateur averti de la fin prochaine. Dans sa première partie, intitulée Justine, Lars Von Trier retrouve le style brut du dogme avec cette caméra à l'épaule qui bouge sans cesse, captant les fêlures de Justine, les mesquineries de sa mère (cruelle Charlotte Rampling), l'insouciance pathétique du père (John Hurt). Ce sombre tableau familial captive immédiatement, le cinéaste montrant savamment le désastre intime de Justine. Le décor a aussi son importance, sa platitude étant comme le symbole d'une échappée illusoire. 

Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg 

Puis vient la seconde partie, Claire, qui s'intéresse cette fois au personnage de Charlotte Gainsbourg, la soeur aimante et raisonnée. La caméra se repose alors, laissant les personnages attendre la venue de Melancholia, avec crainte pour Claire, avec une nonchalante passivité pour Justine. Entre deux séquences dépressives, les deux soeurs font des ballades à cheval et Lars Von Trier utilise sa science de la mise en scène pour rendre ces instants brumeux d'une beauté à couper le souffle. 

Sur la musique de Tristan et Iseult de Wagner que le cinéaste utilise a maintes reprises, la fin du monde vient enfin. Le réalisateur prône alors la victoire de la dépression sur un monde vain et vil. Ce nihilisme assumé, qui parcourt toute l'oeuvre du cinéaste, trouve ici son point d'achèvement. Malgré la splendeur indéniable de cette apocalypse, filmée avec une contemplative sérénité, elle ne doit cependant pas faire oublier le fond. Soit deux soeurs que le cinéaste détruit corps et bien. Antichrist posait déjà un réel problème quand au regard plus qu'ambigu posé par le cinéaste sur les femmes, mais là, et l'apparente douceur finale ne doit pas nous endormir, Lars Von Trier continue sa croisade contre elles qui ne semblent bonnes qu'à attendre passivement la fin du monde. Outre ce point de vue hautement discutable (et quelques pénibles longueurs), que nous dit le cinéaste sur la mélancolie ? Il n'est pas certain qu'une deuxième vision nous apporte un début de réponse à un film beau mais vain, lui aussi. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Potemkine Films.

5 commentaires:

  1. étonnant comme ce film pourrait avoir un côté terriblement kitsch s'il n'était pas mené par Von Trier, qui en fait quelque chose de formellement beau.
    Pour moi il sort avant tout une ambiance hors du commun qui fait tout l'intérêt du film, il n'y a pas de suspens vis à vis de la fin, et c'est bien l'intention du réalisateur qui nous le dit depuis le début. Ne nous reste qu'à contempler avec "mélancolie"...
    Mais je suis d'accord avec ta critique que je trouve intéressante, tout cela est très vain.

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  2. Le personnage de Justine, interprétée par Kirsten Dunst fait une caricature bourgeoise et hâtive de la dépression sautant à pieds joints dans le parti-pris élogieux, ne parvenant pas à dissimuler une légère admiration, pour ce qui n’est qu’une maladie mentale, et non pas une position anti-conformiste voire supra-humaine comme semble le croire Lars Von Trier. Il, reprend le modèle de la rupture brutale mise en scène dans Festen. Le couple de Justine qui semble heureux au départ est comme détaché, par leur bonheur, de la famille parmi laquelle ils s’en vont célébrer leur mariage accompli. Le couple est le lit de petites transgressions heureuses, mais bientôt apparaissent les premières fausses notes. La mère révèle de manière assez artificielle un semblant de passé agité, marque d’une famille d’apparence heureuse, mais pourtant rongée par le malheur. Justine se détache progressivement du carcan familial, en refusant d’abord l’astreinte des petites coutumes, puis allant jusqu'à l’adultère et la démission professionnelle. L’enchaînement des épisodes de cette petite odyssée fonctionne bien. Le jeu de K.Dunst sert convenablement le personnage de Justine, mais c’est à la fois bien trop rapide et « par à-coup », mais également interminablement long. Le spectateur s’impatiente, se noie dans une mise en scène rappelant bien trop Festen sans la puissance dramatique, la beauté du combat parricide pour la justice, pour la vérité. Si la première partie fonctionne formellement, elle est fondamentalement parasitée par son artificialité, ce qui est la cause de l’ennui. Cette superficielle libération est aussi incongrue qu’arbitraire. Seul véritable support narratif du film, ce passage souffre gravement de sa position insulaire, au sein du film, le spectateur en souffre, a fortiori, d’autant plus. La motivation du rejet de Justine de tous les piliers extérieurs de sa vie par une sorte de dépression aussi puissante que brutale, a pour effet pervers de bâtir deux clans antagonistes : celui du bonheur, fatalement faux, étouffé par la triste normalité contre celui de la tristesse et du détachement, seul véritable mode de rapport au monde permettant une sordide mais nécessaire froideur donnant accès à la Vérité. Vérité des plus simplificatrices et qui n’a paradoxalement d’égal dans l’erreur que l’artificialité de l’antagonisme établit. Celui-ci entretient en effet le mythe et le fantasme adolescentesque de « l’indifférent ». Justine est ainsi une anti-héroïne de la vérité non affublée de sa majuscule, invraisemblablement étrangère à toute nature humaine plausible.

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  3. (suite)
    Ce rôle (qui ne mérite pas la palme) et ce personnage font de la première partie une épreuve que beaucoup semblent avoir également supportés avec difficulté. L'éclatement brutal et spectaculaire de la structure familiale réactionnaire est totalement inhibé encore une fois par le personnage de Justine. Ses éclats n'ont aucun élan et ne sauraient souffrir la comparaison avec Festen sans imploser littéralement.


    Le choix d'une mort totale et programmée de toute l'humanité aurait put être passionnant s'il avait été question de la "double mort" (dans un pareil cas la mort survient sans le secours de la mémoire des vivants, sans la perspective de laisser une trace). C'est, je crois, le pire châtiment que l'Homme puisse souffrir, or là, LVT nous laisse nous morfondre dans une première partie introductive interminable et assez prévisible, et n'accorde qu'une dizaine de minutes à ce qui me parait être l'insurmontable défi de l'humanité: sa disparition (d'où ma préférence pour Claire, et mon incompréhension devant l’invraisemblable stoïcisme de Justine). Que fait Lars von Trier de la question de l’ego de l’homme, qui va perdre sa vie en même temps que tout ce qui a fait de lui ce qu’il est ? L’homme face à son inéluctable disparition, face à une formidable peur du vide, ne s’inquièterait-il que de la mort de son enfant ? Question certes purement théorique et fictive mais LVT n’aurait-il pas eu intérêt à introduire ces questionnements au sein d’un pareil scénario, et pourquoi ne pas y introduire un peu de nuance par la même occasion ? Avec l’anéantissement de toute vie disparaît également toute croyance, toute aspiration à la vie future par la mémoire, par l’art. Or Claire et son époux ne semblent que deux simples condamnés à morts…Ce sont des considérations personnelles il est vrai. D’autant que LVT a choisi volontairement, ce n’est pas un simple oubli de sa part, d’éluder les « larges » questions pour ne se centrer que sur ces deux personnages. Ce n'est pas un film sans intérêt car il a le mérite de soulever ces questions, qui sont, malheureusement, mal exploitées. Bons espoirs soldés par une assez lourde déception pourtant fertile. Définitivement, LVT signe là le film de son immaturité.

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  4. Je suis d'accord en tout point avec mon voisin du dessus, Abel, a une chose près. Il me semble que si LVT choisit de ne pas de mettre en scène quelconque réflexion sur l'anéantissement de toute vie c'est pour la simple raison que son film se résume a la représentation d'un mélange entre la place de Justine, donc de la dépression, en société donc incomprise et montrer du doigt, et la représentation du fantasme même de cette dépressive, c'est a dire voir tout son entourage, même les plus rationnels (le scientifique) emporter par le souffle de la dépression du personnage. Je pense qu'il n'est jamais question de fin du monde mais plutôt du désir le plus profond des dépressifs représenté métaphoriquement. Malheureusement le film ne fonctionne pas à mon gout car il y a quelque chose d'indescriptible qui donne la sensation d'assister au fantasme d'un cinéaste et non d'un personnage fictif, ici Justine.

    En tout cas j'espère que c'est ça parce que si c'est une vraie fin du monde, LVT serait vraiment non seulement un gros dépressif, mais en plus un sacré abruti.

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  5. Je félicite Abel pour son analyse psychopathologique. Cela m'éclaire sur le sujet de l'incident provoqué par LVT au festival de Cannes quand il a déclaré éprouver une certaine compréhension pour Adolf Hitler. Il doit considérer Hitler comme une planète qui a percuté la terre pour la détruire. Le délire paranoïaque de grande Allemagne et de race pure recouvrerait un fond mélancolique. La fin de l'histoire plaide pour cette hypothèse de fantasme suicidaire quand on considère la mort d'Hitler et les quarante ans de clivage de l'Allemagne qui ont suivi. Cependant je crois que LVT identifie Hitler à lui-même davantage qu'il ne s'identifie à lui.

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