mercredi 16 février 2011

Black Swan


Une danseuse frêle, fragile, entreprend Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Ses gestes gracieux accompagnent délicatement la caméra qui fait corps avec son interprète. Soudain, une créature monstrueuse intervient et l'emporte. Ce ballet de la mort tourbillonne, électrise. Le cygne sans défense se laisse envahir par le monstre. Fin de la scène. Une poésie de l'horreur se met en marche et avive pleinement la curiosité du spectateur séduit qui, quelques temps plus tard, en sera pour ses frais. 

Darren Aronofsky a toujours filmé des êtres pétris d'addiction : aux mathématiques, à la drogue, au catch. Après The Wrestler dans lequel il ressuscitait Mickey Rourke, il offre à Natalie Portman une intense partition physique dans laquelle elle éblouit et qui devrait lui valoir un Oscar mérité. Son personnage de Nina est danseuse étoile au New York City Ballet. Elle veut à tout prix obtenir le rôle du Cygne mais le chorégraphe (joué par un goguenard Vincent Cassel) veut que Nina, parfaite pour le rôle du cygne blanc, perde sa maîtrise afin de libérer son côté obscur et devenir le cygne noir. Nina va martyriser son corps et affronter une concurrente redoutable, Lili (Mila Kunis), plus libre, plus épanouie. 


Les parallèles entre les trajectoires des comédiennes de Black Swan et celles de leurs personnages révèlent de la part d'Aronofsky une certaine cruauté. Barbara Hershey, actrice vieillissante et ancienne gloire des années 80, incarne la mère possessive et jalouse de sa fille, frustrée de ne jamais avoir réussi à faire carrière. Winona Ryder, icône des années 90 aujourd'hui blacklistée, joue une danseuse étoile déchue et suicidaire. Quant à Natalie Portman, elle a patienté dix ans avant que ne lui soit offert le rôle de sa vie, travaillant jusqu'à plus soif cinq heures par jour pour devenir, à vingt-huit ans, une vraie ballerine. Trois destins troublants qui renforcent le malaise que l'on éprouve à voir tous ces protagonistes évoluer dans ce monde clos de la danse, avec ses douleurs interdites, ses souffrances secrètes, son obsession de la perfection. 

Un milieu qu'Aronofsky, grâce à sa caméra alerte et fiévreuse, rend très inconfortable. Un climat renforcé par le choix des décors : la chambre de l'héroïne ressemble à celle d'un enfant de douze ans, le théâtre fait de briques grises rappelle l'âpreté du métier de danseur, l'environnement urbain à la fois discret et omniprésent met à mal Nina. Et les plans répétés sur son corps supplicié, ses blessures à répétition et le pénible travail des pointes créent le danger. 


Les références sont (un peu trop ?) légion et l'on pense bien sûr aux Chaussons Rouges de Powell et Pressburger qui racontait magnifiquement le sacrifice d'une danseuse prête à tout pour rester sur scène. Aronofsky, malgré son talent de filmeur, ne raconte pas autre chose. Et les références s'accumulent à mesure que le film se fourvoie dans le fantastique et l'horreur. On pense à Cronenberg pour les mutations organiques et à Polanski pour l'enfermement et la schizophrénie sans que jamais Aronofsky n'arrive à surpasser ses illustres modèles. 

Car le cinéaste entache son film d'une lourdeur de mise en scène de plus en plus pesante, à coups de métaphores visuelles signifiantes entre le noir et le blanc pour bien nous expliquer la différence entre le bien et le mal. De plus, il multiplie les effets chocs et gratuits du film d'épouvante, frôlant à plusieurs reprises le ridicule. Cet aspect répétitif fait perdre au cinéaste le grand sujet qu'il n'a pas su traiter : comment aller chercher dans les abîmes de soi la noirceur nécessaire à l'épanouissement artistique. Il se contente de faire une analogie grossière entre l'intrigue du Lac des Cygnes et celle du scénario sans qu'à aucun moment il ne la bouscule. Malin, il a cru combler ce vide à coups d'effets spectaculaires, surjouant la partition de Tchaïkosvki dans le ballet final afin de masquer la vacuité de son propos. Car l'on reconnaît un authentique cinéaste à sa sincérité qui semble ici se substituer à un interminable tour de montagnes russes.

Antoine Jullien 



DVD et Blu-Ray disponibles chez Fox Pathé Europa.

6 commentaires:

  1. Aaah enfin une critique avec laquelle je suis d'accord !! Je n'ai pas vraiment aimé ce film dont j'attendais pas mal, notamment pour la confusion des genres. J'aurais préféré un film plus introspectif et les envolées horreur/pseudo-fantastique rendent un peu ridicules certaines scènes... Merci de mettre des mots sur ce que j'avais du mal à exprimer ;-)

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  2. j'ai aimé cette passion destructrice

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  3. J'ai pour ma part vu dans Black Swan un film baroque et viscéral. Mais il est vrai que l'ensemble ne brille pas par sa légèreté.

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  4. je suis plutôt d'accord avec la critique. La comparaison entre le Lac des Cygnes et l'histoire de ballerine est assez maladroite, et le coté manipulateur de réalisateur par rapport aux spectateurs n'est pas très agréable.

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  5. on sort de ce film ..déprimé....

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