mercredi 23 février 2011

Abécédaire Hitchcock


A l'occasion de la rétrospective Alfred Hitchcock à la Cinémathèque française, Mon Cinématographe a réalisé un abécédaire hitchockien. 


Apparition

Dès The Lodger en 1927, Alfred Hitchcock apparaît dans chacun de ses films. Le cinéaste britannique s'amusait de ses brefs caméos qu'il faut parfois savoir détecter avec un oeil averti. Le plus surprenant est sans conteste celui de Lifeboat où l'on voit une photo d'Hitchcock dans la page d'un journal que lit l'un des naufragés. Ses apparitions avaient lieu souvent dans le premier tiers du film car le cinéaste estimait qu'elles auraient distrait le public s'il était intervenu plus loin dans l'histoire. Retrouvez sur ce lien un condensé de toutes ses figurations.


Bad Guy

Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film. Ce crédo hitchcokien s'est révélé exact dans bon nombre des films du maître. Même dans sa plus grande cruauté, le méchant est toujours un être élégant et raffiné, de Joseph Cotten dans l'Ombre d'un doute à James Mason dans La Mort aux trousses en passant par Claude Rains dans Les Enchaînés. Dans la dernière partie de son oeuvre, les méchants auront des profils de vrais psychopathes, des cas cliniques qu'Hitchcock traitait avec son ironie habituelle.

Joseph Cotten dans L'ombre d'un doute.



Culpabilité

Le transfert de culpabilité est un des thèmes les plus récurrents de l'oeuvre hitchcockienne. Bien qu'ils ne soient pas exempts de défauts, combien de « héros » ont du, le temps d'un film, prouver leur innocence alors qu'ils étaient accusés d'un crime qu'ils n'avaient pas commis. Pris pour le fantomatique Kaplan, le personnage de Cary Grant, un publicitaire superficiel et volage, est pourchassé par de mystérieux espions dans La mort aux trousses dont Les 39 marches était le galon d'essai. Dans Le grand alibi, Marlene Dietrich tue son mari et fait accuser son amant qui se ne révèlera pas être l'innocent que l'on croyait. Le prêtre de La Loi du Silence, tenu par le secret de la confession, ne peut pas désigner le véritable assassin et semble tout faire pour se compromettre. Le repris de justice de Frenzy est accusé des crimes sexuels perpétués par son meilleur ami sans parler d'Henry Fonda qui est le bien nommé Faux coupable .

La bande-annonce de La loi du silence.



Détail

On reconnaît la grands cinéastes à leur obsession du détail. Chez Hitchcock, elle est omniprésente. En grand manipulateur, il savait parfaitement intégrer tel ou tel élément pour faire rebondir l'action et rendre une situation plus ambiguë. Il appelait cela « remplir la tâpisserie ». Dans La loi du Silence, lorsque Montgomery Clift quitte la salle du tribunal, on voit, au mileu de la foule, une grosse femme assez répugnante manger une pomme dont le regard exprime la curiosité malveillante du public. Dans Vertigo (Sueurs froides), le médaillon de Madeleine sur le cou de Judy fait comprendre à James Stewart que Madeleine et Judy sont la même personne. Dans l'Ombre d'un doute, la fumée noire qui s'échappe de la cheminée de la locomotive à l'arrivée de l'oncle Charlie (Joseph Cotten) annonce la venue d'un personnage malfaisant. Et la somme de détails peut raconter un personnage : au début de Fenêtre sur Cour, la caméra glisse sur le visage de James Stewart en sueur, puis sur une table où l'on voit l'appareil photo brisé sur une pile de magazines, et sur le mur, des photos de voitures qui se retournent. En un seul plan, on apprend qui est le personnage, quel est son métier et ce qui lui est arrivé.


Erotisme

Les films d'Hitchcock récèlent une grande part d'érotisme plus ou moins visible. Dans Les Enchaînés, le cinéaste, déjouant habilement la censure, fait durer le baiser entre Cary Grant et Ingrid Bergman pendant de longues minutes alors qu'ils sont en mouvement. De films en films, certains images vont devenir purement sexuelles : le dernier plan de La mort aux trousses où le train s'enfonce dans le tunnel insinue l'acte sexuel des deux amants. Mais la dimension érotique la plus bouleversante est sans conteste dans Vertigo. Hitchcock le résume merveilleusement : « Tous les efforts de James Stewart pour recréer la femme, cinématographiquement, sont montrés comme s'il cherchait à la déshabiller au lieu de la vêtir. » 

Par la suite, la sexualité, de moins en moins suggérée, éclatera dans Psychose, Pas de printemps pour Marnie et Frenzy où elle prend une tournure déviante et pathologique. Le sexe et la mort seront inextricablement mêlés comme le formule subtilement Truffaut : « Toutes les scènes d'amour sont filmées comme des scènes de meurtre et toutes les scènes de meurtre sont filmées comme des scènes d'amour. ». 

L'interminable baiser des Enchaînés 


James Stewart découvrant Kim Novak dans Vertigo



Femmes

De nombreux biographes ont glosé sur la prétentue frustration sexuelle d'Hitchcock et sur son rapport très ambigü avec les actrices. Marié à Alma Reville qui était son critique le plus redoutable et sur qui elle avait une grande influence, Hitchcock a filmé différents types de femmes : les jeunes demoiselles qui vont découvrir la perte de l'innoncence (Teresa Wright dans L'ombre d'un doute), les meneuses au tempérament affirmé (Tallulah Bankhead dans Lifeboat) Ingrid Bergman et Grace Kelly, les deux images de la femme hitchcockienne tantôt séductrice, tantôt fragile et la femme objet (Tippie Hendren dans Les Oiseaux et Pas de Printemps pour Marnie). Pour l'anedocte, Hitchcock avait pensé à Grace Kelly dans Vertigo. Indisponible depuis son mariage avec le Prince Rainier, l'actrice dû décliner. Hitchcock choisit à contre coeur Kim Novak. L'histoire du film et du tournage se confondent alors étrangement : un metteur en scène oblige une actrice de remplacement à imiter l'actrice initialement choisie.

L'apparition menaçante de Grace Kelly dans Fenêtre sur cour



Gloire

Son succès connaîtra son apogée de 1954 à l'échec de Pas de printemps pour Marnie dix ans plus tard. Le cinéaste peinera par la suite à se renouveler, semblant dépasser par les nouvelles attentes du public qui le délaissera progressivement avant que les nouvelles générations le redécouvrent et lui fassent un triomphe qui n'est pas prêt de s'estomper. 


Humour

« Est-ce que cela ne serait pas amusant de le faire assassiner de cette façon ? ». Cette volonté du maître montre bien l'humour constant qui parcoure ses cinquante trois long métrages. Il disait lui-même que le contenu de ses films était sérieux mais le regard était humoristique. Cet humour transforme certaines intrigues en comédie d'espionnage dont La mort aux trousses est le sommet du genre. Il désamorce les situations dramatiques dans bon nombre de films de sa période anglaise : Sabotage, une femme disparaît, les 39 marches... L'humour devient réellement macabre dans Qui a tué Harry ? et Frenzy où le pauvre assasssin doit retrouver le corps de sa victime dans un camion rempli de pommes de terre ! Derrière l'humour se cache une ironie qu'Hitchcock affectionnait particulièrement. Au début des Oiseaux, Tippie Hendren achète une paire de gentils canaris, nommés «les inséparables ». Elle ne sait pas encore qu'elle va bientôt se confronter à des volatiles d'une toute autre espèce !

La séquence de la vente aux enchères dans La Mort aux trousses 



Intrigue

Hitchcock a réalisé une majorité d'adaptations : Daphné du Maurier, Boileau-Narcejac, Patricia Highsmith font partie des auteurs qui ont vu leurs écrits se transformer en images grâce au talent du maître. Des histoires où l'intrigue joue un rôle essentiel qu'Hitchcock malmenait à sa guise avec une facilité presque déconcertante. Si elle n'est pas toujours vraissemblable, l'intrigue est sans cesse crédible car le cinéaste s'intéressait minitieusement aux motivations de ses personnages. Les rebondissemnents sont légion et le McGuffin (le but à atteindre) essentiel car il justifie les péripéties du film bien qu'Hitchcock le jugeait sans importance. Voyant l'évolution cinématographique aller à contre-courant de l'intrigue, il déclarait à François Truffaut qu'il construirait à l'avenir plus volontiers un film sur une situation que sur une histoire. Il proclamait d'ailleurs à propos de Psychose : « Dans Psychose, le sujet m'importe peu, les personnages m'importent peu, ce qui m'importe, c'est que l'assemblage des morceaux du film, la photographie, la bande sonore, et tout ce qui est purement technique pouvait faire hurler le public . Ce n'est pas une interprétation qui a bouleversé le public. Ce n'était pas un roman très apprécié qui a captivé le public. Ce qui a ému le public, c'était le film pur. »


Jésuite

Catholique, Hitchcock fit ses classes chez les Jésuites au collège St Ignace de Londres. Le cinéaste dira plus tard que c'est au cours de son passage chez les Jésuites que la peur s'est fortifiée en lui. Elève plutôt moyen, il fit une école d'ingénieur avant de travailler en tant que dessinateur dans le service publicitaire de la compagnie télégraphique Henley. Il rejoignit ensuite la société américaine Famous Players-Lasky où il était chargé de dessiner les intertitres des films muets. Puis il est devenu assistant metteur en scène avant de débuter sa carrière de cinéaste.


Kilo

Hitchcock a longtemps souffert de son embompoint qui, adolescent, le mettait à l'écart. Il s'en moquera lorsqu'il tournera une publicité pour une cure amaigrissante. Plus tard, il le retournera même à son avantage en dessinant sa silhouette qui deviendra ainsi un label.


Londres 

Né à Londres en 1899, Hitchcock tourna en Angleterre vingt-trois longs métrages avant son départ pour Hollywood en 1939. Mais le réalisateur a toujours gardé une fidélité à sa ville natale. Il y retournera durant la deuxième guerre mondiale où il réalisa deux courts métrages de propagande (Bon voyage et Aventure Malgache). Hitchcock écrivit les deux scénarios au Claridge Hotel qui a inspiré récemment le documentariste belge Johann Grimonprez (voir la critique de Double Take). Il reviendra dans la capitale britannique pour le tournage des Amants du Capricorne en 1949, Le Grand Alibi l'année suivante, L'homme qui en savait trop en 1956 et Frenzy en 1972 où l'intégralité de l'action se situe à Londres. Couronné pour l'ensemble de sa carrière, Hitchcock sera anobli par la reine Elisabeth II en 1978. 


Mise en scène

Lorsqu'il évoquait Psychose, Hitchcock parlait de « direction de spectateur ». Quel autre cinéaste n'a su a ce point manipuler son monde grâce au seul travail de la caméra. Dans la séquence la plus intense de Sabotage, il filme Sylvia Sidney qui vient de perdre son frère à cause de l'activité criminelle de son mari. Elle dîne en face de lui, lui sert une assiette mais regarde avec de plus en plus d'insistance le couteau à côté d'elle. Le mari ne remarque pas l'attitude de sa femme jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle veut le tuer. Ainsi, le jeu de la caméra et du montage créent le suspense. Les personnages, chez Hitchcock, sont eux-mêmes metteur en scène. James Stewart, dans Fenêtre sur Cour, observe les gens à leur issue. L'histoire est racontée à travers son regard, le voyeur se substitue ainsi au cinéaste. Le même James Stewart, dans Vertigo, recréé une personne disparue en croyant ainsi la ressusciter.

Le meurtre de Sabotage (en version russe !)



L'élégance et la virtuosité de la mise en scène éblouissent dans le prologue de l'Inconnu du Nord Express : les travellings sur les pieds dans un sens et dans l'autre puis les plans sur les rails qui se rejoignent et qui s'écartent. Les idées visuelles qui jalonnent toute sa filmographie fascinent encore : le long travelling des Enchaînés qui nous amène à la clef tant convoitée, le meurtre qui se reflète dans le verre des lunettes de la victime dans l'Inconnu du Nord Express, l'inquiétant verre de lait de Soupçons éclairé par un projecteur dissimulé à l'intérieur, la première apparition « menaçante » de Grace Kelly dans Fenêtre sur Cour et le meurtre de la jeune femme dans Frenzy filmé hors champ alors qu'à quelques mètres la rue grouille de gens ignorant l'horreur qui est en train de se jouer. Hitchcock synthétise à lui seul la perversité du metteur en scène et explicite parfaitement l'effet "Koulechov" : « Nous prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien dans un panier, on revient à Stewart, il sourit. Maintenant, à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte. On replace le même gros plan de James Stewart souriant et, maitenant, c'est un vieux salaud ! »

Le meurtre hors champ de Frenzy



Nouvelle vague

C'est au début des années 50 que les jeunes turcs des Cahiers du Cinéma s'intéressent de près à Hitchcock. Film par film, Eric Rohmer et Claude Chabrol, qui ne sont pas encore les cinéastes de la Nouvelle Vague, décortiquent le cinéma d'Hitchcock dans le premier ouvrage sérieux consacré au maître, publié en 1957. Car à cette époque, Hitchcock est d'abord considéré comme un amuseur avec ses trucs et astuces mais en aucun cas l'immense cinéaste qu'il est aujourd'hui. Selon Rohmer et Chabrol, « il importe de considérer l'oeuvre d'Hitchcock exactement de la même manière que celle d'un peintre ou d'un poète ésotérique. Si la clef du système n'est pas toujours sur la porte, si les portes mêmes sont astucieusement camouflées, ce n'est pas raison suffisante pour crier qu'il n'y a rien à l'intérieur ». Par la suite, François Truffaut, dans son célèbre livre d'entretiens*, donnera la parole au cinéaste qui évoquera avec une rare liberté de ton ses succès et ses échecs, son rapport au cinéma, son travail avec les comédiens... Un document d'une valeur inestimable.


O'Selznick

En 1939, le puissant producteur David O'Selznick, tout juste auréolé du triomphe d'Autant en emporte le vent, propose à Hitchcock de tourner un film sur le Titanic. Arrivé à Hollywood, Hitchcock se voit confier finalement l'adaptation du roman de Daphné du Maurier, Rebecca. Le film marque le début de sa carrière américaine qui s'achèvera à la mort du cinéaste, en 1980. Entrenant des relations conflictuelles avec le producteur tyrannique, Hitchcock tournera tout de même deux autres longs métrages avec lui, La maison du Docteur Edwards et Le Procès Paradine. Après ces deux films mineurs, il volera de ses propres ailes en devenant lui-même son producteur.

La révélation de Rebecca



Public

Hitchcock tournait ses films pour le public, il savait parfaitement anticiper ses réactions et jouer avec ses peurs. A propos de la scène de la mort d'Arbogast dans Psychose, Hitchcock, malade le jour du tournage, avait confié le filmage de la montée de l'escalier à Saul Bass, célèbre graphiste d'Hollywood. Lorsqu'il vu les rushes, le cinéaste n'était pas satisfait car le découpage de la montée de l'escalier, un plan de la main du détective glissant sur la rampe et un travelling à travers les barreaux de l'escalier montrant les pieds d'Arbogast de côté, donnait au spectateur un sentiment de culpabilité qui n'était pas l'objectif de cette scène. Hitchcock la retourna de la manière que l'on peut admirer dans l'extrait ci-dessous. 


L'homme était un des très rares cinéastes a être connu du grand public, non seulement à travers ses films mais aussi à travers son image publicitaire. Dès 1954, il lance la série télévisée Alfred Hitchcock présente où sa silhouette apparaît à chaque début d'émission et dans lequel il raconte l'histoire de l'épisode à venir dans des mises en scène farfelues. Hitchcock est sans doute le seul cinéaste star du XXème siècle. Sa notoriété et son pouvoir étaient tels qu'il pouvait exiger du spectateur qu'il arrive à l'heure de la projection de Psychose sous peine de se voir refuser l'accès à la salle.

Bande annonce de Psychose présentée par Hitchcock 



Querelle

Bernard Herrmann fut le compositeur le plus célèbre des films d'Alfred Hitchcock. Leur collaboration débute en 1955 sur le tournage de L'homme qui en savait trop dans lequel on aperçoit Herrmann en chef d'orchestre. Leur entente artistique sera brisée lors de la post-production du Rideau Déchiré en 1966. Hitchcock, insatisfait da la partition proposée par Herrmann, rompera brutalement avec son compositeur. Une attitude pour le moins cavalière qui ne rendait pas justice au talent d'Herrmann qui avait su trouver un langage musical unique conférant aux images du cinéaste une dimension à la fois romesque, angoissante et tragique.

Le concert de L'homme qui en savait trop



Remake

Combien de cinéastes se sont réclamés d'Hitchcock ? Il est sans nul doute celui qui a consciememnt ou inconsciemment le plus influencé les réalisateurs (voir l'interview de Jean-François Rauger). Certains, notamment ceux issus de la Nouvelle Vague, ont tenté de copier le maître parmi lesquels son plus fidèle disciple, François Truffaut. Mais La mariée était en noir tient difficilement la comparaison tant la maîtrise hitchcockienne fait cruellement défaut. Chabrol, pour sa part, s'en est inspiré de manière plus indirecte avec quelques réussites notables (Le Boucher, Que la bête meurt). Les réalisateurs italiens des années 60-70 ont repris certains codes hitchcockiens dont Mario Bava et Dario Argento. Brian De Palma est sans conteste celui qui est allé le plus loin dans la relecture, reprenant à son compte les mêmes sujets (Vertigo devient Obsession / Psychose devient Pulsions). Sa mise en scène, plus maniérée, donnera des objets intriguants et jubilatoires n'atteignant pas le degré de fascination des films d'Hitchcock. Enfin, certains oseront même le remake plan par plan. En évoquant Psycho, les fans de Gus Van Sant parlent d' un objet conceptuel qui remettrait le film d'Hitchcock en perspective. On peut raisonnablement le voir comme une inutile tentative commerciale de le moderniser alors que ce médiocre remake paraît au final bien plus daté que son illustre modèle.


Bande annonce d'Obsession de Brian De Palma



Suspense

Hitchcock a théorisé sur la différence entre surprise et suspense. Il comparaissait deux situations : dans la première, deux personnes ont une conversation banale, une bombe est sous la table mais le public ne le sait pas. Soudain, la bombe explose, le public est surpris. On retrouve la même situation mais le public sait qu'il y a une bombe et qu'elle va exploser. La conversation anodine devient tout à coup intéressante car elle participe à la scène. Vont-ils échapper à l'explosion ? 

Le surnom de « maître du suspense » est rentré dans le langage courant. Une appelation réductrice car l'oeuvre hitchockienne, dans ses thémathiques, va bien au-delà du simple thriller mais elle est juste tant le suspense chez Hitchcock est l'un des moteurs de sa création. Dénombrer les scènes à suspense dans sa filmographie conduirait à décortiquer chaque séquence de ses films, nous ne retiendrons que les plus mémorables. Dans Les Oiseaux, Tippie Hendren s'assoie dans la cour de l'école du village où l'on entend les enfants chanter. La caméra reste sur elle pendant un moment puis elle regarde autour d'elle et voit un corbeau, elle continue à fumer et quand elle regarde à nouveau, elle voit tous les corbeaux assemblés. La célèbre scène de La Mort aux Trousses où l'avion pourchasse Cary Grant dans un champ de maïs est, par le choix du décor et du découpage, le contre-exemple absolu de la classique scène à suspense. Dans Le crime était presque parfait, Hitchcock filme simultanément le coup de fil du mari à sa femme et la tentative de meurtre de celle-ci et l'effet produit ainsi un suspense double : le mari va-t-il réussir son coup où sa femme va-t-elle survivre ? Quant à Psychose, c'est LE film de suspense à part entière.

La séquence de l'école dans Les oiseaux



Technique

Tout au long de sa carrière, Hitchcock a innové, non seulement dans sa mise en scène mais aussi dans l'utilisation des outils cinématographiques. Pour La Corde, il décide de tourner le film en plan séquence de dix minutes chacun (la durée d'une bobine de 300 m) en utilisant des raccords invisibles afin de masquer les coupes (un personnage qui passe devant l'objectif). L'ensemble forme un long plan d'1h45 ! En vogue au début des années 50, il utilise le relief anagliphe dans Le Crime était presque parfait. Pour exprimer visuellement le vertige de James Stewart dans Vertigo, il inventa un système nommé le « transtrav » qui consiste à opérer, simultanément, un zoom avant et un travelling arrière. Un procédé qui sera repris plus tard par Spielberg dans Les dents de la mer et dans de nombreux autres films. Psychose est une expérimentation technique totale, Hitchcock tournant un long métrage de cinéma avec son équipe de télévision en filmant la célèbre scène de la douche avec soixante-dix positions de caméra pour quarante cinq secondes d'images. Quant aux Oiseaux, les trucages de l'époque étaient révolutionnaires, surtout au niveau sonore car les bruits élecroniques des oiseaux amplifiaient la dimension fantastique du film.

L'effet "transtrav" de Vertigo



Universal

C'est à partir des Oiseaux, en 1962, qu'Hitchcock signa tous ses films avec Universal où il possédait un bungalow depuis de nombreuses années. Le prestigieux studio lui avait déjà servi maintes fois de décor pour ses films et la terrifiante maison de Norman Bates dans Psychose se visite encore aujourd'hui. Après qu'Hitchcock cèda à Universal la propriété des quelques deux cent heures d'émissions à suspense qu'il avait produites et supervisées, le studio rachètera les droits d'une bonne partie de sa filmographie que l'on peut maintenant savourer grâce à de copieux coffrets DVD.


Viseur

Hitchcock avait pour particularité de ne jamais regarder dans l'oeilleton de la caméra. Une incongruité quand on connaît le sens visuel inné du bonhomme.


Wagon

Le train est un décor récurrent des films d'Hitchcock. Un lieu où les situations de suspense ne manquent pas. Recherché par la police, Cary Grant se réfugie dans le wagon d'Eva Marie Saint dans La Mort aux trousses. Les deux personnages de L'Inconnu du Nord Express cèlent leur pacte diabolique dans le train du même nom. Alors qu'il essaye de tuer sa nièce, l'oncle Charlie de L'Ombre d'un doute tombe du train et en percute un autre arrivant à toute allure. Le train devient même le théâtre de toute l'action d'Une femme disparaît.

Bande annonce d'Une femme disparaît




* Toutes les déclarations d'Hitchcock sont extraites du livre Hitchcock-Truffaut - éditions Gallimard.


Filmographie 

The pleasure garden (1926)
The Lodger - Les cheveux d'or (1927)
Downhill (1927)
Le masque de cuir (1927)
Easy virtue (1928)
Laquelle des trois (1928)
Champagne (1928)
The Manxman (1929)
Chantage (1929)
Elstree Calling (1930)
Juno and the Peacock (1930)
Meurtre (1930)
The Skin game (1931)
A l'est de Shangai (1932)
Numéro 17 (1932)
Le chant du Danube (1934)
L'homme qui en savait trop (1934)
Les Trente-neuf marches (1935)
Quatre de l'espionnage (1936)
Agent Secret - Sabotage (1936)
Jeune et Innocent (1937)
Une femme disparaît (1938)
La taverne de la Jamaïque (1939)
Rebecca (1940)
Correspondant 17 (1940)
Joies matrimoniales (1941)
Soupçons (1941)
Cinquième colonne - Saboteur (1942)
L'ombre d'un doute (1943)
Lifeboat (1944)
La maison du Docteur Edwards (1945)
Les Enchaînés (1946)
Le procès Paradine (1947)
La corde (1948)
Les amants du Capricorne (1949)
Le grand alibi (1950)
L'inconnu du Nord-Express (1951)
La loi du silence (1953)
Le crime était presque parfait (1954)
Fenêtre sur cour (1954)
La main au collet (1955)
Mais qui a tué Harry ? (1955)
L'homme qui en savait trop (1956)
Le faux coupable (1957)
Sueurs froides - Vertigo (1958)
La mort aux trousses (1959)
Psychose (1960)
Les oiseaux (1963)
Pas de printemps pour Marnie (1964)
Le rideau déchiré (1966)
L'étau (1969)
Frenzy (1972)
Complot de famille (1976)


Dossier réalisé par Antoine Jullien

Rétrospective Alfred Hitchcock à la Cinémathèque Française jusqu'au 28 février 2011.
Cycle "Après Hitchcock" du 2 au 14 mars. 
Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr

2 commentaires:

  1. "On peut raisonnablement le voir comme une inutile tentative commerciale de le moderniser alors que ce médiocre remake paraît au final bien plus daté que son illustre modèle."

    Plusieurs points:

    -Si pour reprendre les propos de cet article, le film a (uniquement) une visée commerciale brute, elle a un enjeu défini et donc une utilité.
    -Il ne faut pas chercher à extirper la mise en scène de son contexte de production. D'abord, chaque film produit(ne prenons pas en compte le cinéma expérimental) est distribué en salle, et donc a un objectif de rentabilité. Si Hitchcock prenait en compte le spectateur dans ses choix de mise en scène, c'est bien évidemment pour le divertir et faire du profit. Ce qui est intéressant chez Hitchcock, c'est la syntaxe cinématographique et sa mise en scène innovante si on veut pour l'époque qui lui a permis d'arriver à ses fins. C'est en ça qu'il s'inscrivait dans la politique des auteurs et qu'il était célèbre pour être le maitre du suspens. Ensuite, étant très conscient de sa place dans le processus de production d'un film, il était soumis à des contraintes budgétaires et faisait preuve d'un certain professionnalisme à ce niveau là; il faisait du cinéma à grande distribution et ne s'en cachait guère (avant le livre de Rohmer et Truffaut, c'est d'ailleurs cet aspect qui lui était avant tout reproché à l'époque).
    -Ça n'engage que moi mais un remake de Psychose d'Hitchcock n'est pas un remake des nefs à vifs de Thompson. Ce film est un tournant historique dans l'histoire du cinéma et, pour la génération de Sant, un traumatisme du danger. On pourrait penser que la reprise d'un tel film est un peu pompeux, à part si on prend en considération que Psycho n'est pas un film de Sant mais l'effacement d'un cinéaste récent dans la mise en scène intemporel d'un cinéaste de l'histoire. Si le film n'était qu'une "simple tentative commerciale", je pense que les studios l'aurait juste remastérisé pour le redistribuer en salle au lieu de "s'emmerder" à perdre de l'argent dans la distribution des rôles et de le retourner tel quel. Aussi, il est dur de ne pas prendre en compte dans la copie de Psychose, la partie très expérimental de la cinématographie de Sant et donc, la parfaite conscience (allez je n'aime pas dire ça mais je vais le dire) de l'auteur de ce qu'il est en train de faire. Faire et un remake plan par plan et faire un remake "différent" sont deux choses différentes. Le premier déclame l'impossibilité de s'attaquer à une œuvre antérieure alors que l'autre, avec beaucoup moins de modestie adopte, un œil nouveau à une œil ancien. Dans le traitement hitchockien, même si celui est bien sur volontaire et qu'il est très jouissif, le cinéma de De Palma peut paraitre peut-être finalement plus grossier que le remake de Psychose par Sant car si l'un détruit une matière classique pour en dégager une matière nouvelle, l'autre, sans prendre de risque, par le trop lourd poids d'un héritage et d'une telle responsabilité artistique, cherchera plus à glorifier le metteur en scène initial, Hitchcock. Rappelez vous que le requiem de Mozart a été achevé par ses élèves après sa mort.

    Cordialement

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  2. Analyse intéressante de la notion de remake même si je reste convaincu que Psychose, pour l'avoir encore revu à l'occasion de cette rétrospective, se suffit à lui-même.

    Quant à De Palma, il est vrai que son approche hitchcockienne n'est pas toujours des plus fines et sa mise en scène grand guignol peut paraître ampoulée. Ses films, et Pulsions en est pour moi le meilleur exemple, alterne sans cesse entre le sublime et le grotesque. L'ironie est qu'après avoir plagié Hitchcock, De Palma s'est mis à se plagier lui-même. Mais c'est une autre histoire...

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