Après l'échec du mésestimé Poulet aux Prunes, la réalisatrice et dessinatrice Marjane Satrapi change de registre en acceptant un scénario écrit par un autre dans un genre, la comédie horrifique, qui n'est à priori pas le sien. Mais si l'on regarde de plus près, ce choix est très judicieux car ce type de films nécessite une approche visuelle qui n'a pu que séduire l'auteur de Persepolis. En résulte un objet insolite pas totalement abouti mais très recommandable.
Jerry (Ryan Reynolds) vit à Milton, une petite ville américaine bien tranquille où il travaille dans une usine de baignoires. Célibataire, il vit accompagné de son chat, Mr Moustache, et de son chien, Bosco, avec lesquels il parle régulièrement. Il n'est pas non plus insensible au charme de Fiona (Gemma Arterton), la pétulante anglaise qui travaille à la comptabilité de l'usine. Tout se passe bien dans le monde de Jerry, sauf quand il oublie de prendre ses médicaments.
Gemma Arterton et Ryan Reynolds
Marjane Satrapi prouve une fois encore aux gardiens de la Nouvelle Vague qu'une commande peut-être aussi récréative qu'un film personnel, même au cœur de notre vieille Europe. Car le pari fou qu'elle réussit est d'avoir su recréer une histoire typiquement américaine intégralement en Allemagne et dans les mythiques studios de Babelsberg. La cinéaste a donc particulièrement soigné sa direction artistique et les décors colorés (motels, bars, bowlings) n'ont presque jamais parus aussi authentiques. Les cadrages et la lumière très découpée renvoient explicitement au cinéma bis que l'on affectionne mais Satrapi, tout en respectant les codes inhérents au genre, s'en démarque malicieusement au détour d'un plan ou d'un retournement de scénario. Et elle n'hésite pas à dynamiter son récit avec de la comédie musicale ou des instants fantastico-poétiques délicieusement kitsch.
The Voices nous procure aussi de grandes joies comiques grâce à un énergumène magnifique, Monsieur Moustache, le chat de Jerry qui jure et le rabroue sans arrêt, ainsi qu'à certains détails gores jubilatoires comme ces tupperwares méticuleusement rangés et qui contiennent des morceaux de cadavre. Car le film n'oublie pas d'être sérieux et par instant violent, ayant pour antihéros un schizophrène dangereusement atteint. De lui vient le miracle du film en la personne de Ryan Reynods. L'acteur, si fade et inconsistant jusqu'à présent, trouve enfin le rôle qui lui manquait. Son apparence de bellâtre yankee mêlée à une gentillesse à la limite de la niaiserie en font un doux psychopathe pour lequel on ne peut éprouver que de la sympathie. Et lorsque l'on apprend que le comédien a doublé tous les autres personnages, prenant notamment l'accent écossais impayable de Mr Moustache, on est obligé de s'incliner. Marjane Satrapi vient d'accomplir un miracle : sauver un acteur du précipice auquel on le pensait destiné ad vitam aeternam.
Antoine Jullien
Etats-Unis / Allemagne - 1h43
Réalisation : Marjane Satrapi - Scénario : Michael R. Perry
Avec : Ryan Reynolds (Jerry, Mr Moustache, Bosco), Gemma Arterton (Fiona), Anna Kendrick (Lisa), Jacki Weaver (Dr. Warren).
Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution
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