Remarqué à la Semaine de la Critique du dernier festival de Cannes, Gente de Bien est le premier long métrage du réalisateur franco-colombien Franco Lolli. Le film suit la relation difficile entre Eric, un jeune garçon de 10 ans, et son père Gabriel chez qui il se retrouve à vivre du jour au lendemain, à Bogota. Voyant que l'homme a du mal à construire cette relation et à subvenir à leurs besoins, Maria Isabel, la femme pour laquelle Gabriel travaille comme menuisier, décide de prendre l'enfant sous son aile.
Chronique du quotidien, Gente de Bien, malgré son très juste regard sur l'enfance, ne bouleverse pas un genre éprouvé, victime d'une mise en scène un peu trop appliquée. Nous avons rencontré Franco Lolli qui nous parle, avec une belle sincérité, des motivations qui l'on conduit à réaliser ce film, de ses inspirations, des œuvres qui l'ont marqué et des cinéastes qui l'ont déçu. Une conversation aussi authentique qu'exaltante.
Mon Cinématographe : Pouvez-vous nous dire en quoi ce film est si personnel ?
Franco Lolli : Tous mes films partent de ma propre histoire, de sentiments très profonds. La première raison pour laquelle ce film est personnel est dans la relation père-fils parce que je n’ai pas connu mon père. J’ai toujours eu cette figure qui trottait dans ma tête que j'avais fini par refouler et cela ne me posait aucun problème. Mais dès que je me mettais à écrire, il n’y avait que des histoires complexes père-fils qui sortaient. Là, j’ai compris qu’il se passait quelque chose. La deuxième raison est que je viens d’un milieu aisé en Colombie mais j’étais toujours considéré comme le pauvre parmi les riches parce que justement je n’avais pas de père et que ma mère était souvent au chômage. Donc on avait un niveau de vie qui n’était pas celui de mes amis qui étaient beaucoup plus riches que moi. Et j’en étais extrêmement complexé. De ces deux sentiments là, celui de n'avoir pas connu mon père et celui d’être complexé par le fait d’être plus pauvre que les autres, est né Gente de Bien, qui est aussi important dans la tentative d'adoption d'Eric par Maria Isabel. Quand j’étais petit, vu que ma mère galérait car elle était toute seule avec moi, j’avais des amis très riches avec qui je partais en vacances dans leurs maisons de campagnes. Comme le personnage d'Eric, j’étais un peu adopté mais je ne me sentais pas tout à fait à ma place.
- Le film parle de l’impossible union entre deux classes sociales. Est-ce un point de vue fataliste ou réaliste ?
Je dirais que le film parle d’abord de l’impossibilité de décider d’adopter un enfant de cette façon. S’il s'agissait d’un enfant riche, de la même classe sociale et que la mère de l’enfant était morte dans l’histoire, cela aurait posé exactement les mêmes problèmes, Eric aurait été exclu par les autres enfants mais pas pour les mêmes raisons. Je crois que le plus important est la problématique familiale, on choisit sa famille ou on l'a subit. C’est ici que se situe le centre du film. En Colombie, de manière plus assumée qu’en France, les classes sociales sont séparées de telle façon qu’il n’y a pas de rencontre possible. Et si elle existe, elle sera toujours placée sous le signe de la condescendance d’un côté et de la peur de l’autre. Je pense qu’il faudrait qu’il en soit autrement mais à ce jour je ne vois pas comment ce que je présente dans le film soit vraiment réalisable.
Franco Lolli : Tous mes films partent de ma propre histoire, de sentiments très profonds. La première raison pour laquelle ce film est personnel est dans la relation père-fils parce que je n’ai pas connu mon père. J’ai toujours eu cette figure qui trottait dans ma tête que j'avais fini par refouler et cela ne me posait aucun problème. Mais dès que je me mettais à écrire, il n’y avait que des histoires complexes père-fils qui sortaient. Là, j’ai compris qu’il se passait quelque chose. La deuxième raison est que je viens d’un milieu aisé en Colombie mais j’étais toujours considéré comme le pauvre parmi les riches parce que justement je n’avais pas de père et que ma mère était souvent au chômage. Donc on avait un niveau de vie qui n’était pas celui de mes amis qui étaient beaucoup plus riches que moi. Et j’en étais extrêmement complexé. De ces deux sentiments là, celui de n'avoir pas connu mon père et celui d’être complexé par le fait d’être plus pauvre que les autres, est né Gente de Bien, qui est aussi important dans la tentative d'adoption d'Eric par Maria Isabel. Quand j’étais petit, vu que ma mère galérait car elle était toute seule avec moi, j’avais des amis très riches avec qui je partais en vacances dans leurs maisons de campagnes. Comme le personnage d'Eric, j’étais un peu adopté mais je ne me sentais pas tout à fait à ma place.
- Le film parle de l’impossible union entre deux classes sociales. Est-ce un point de vue fataliste ou réaliste ?
Je dirais que le film parle d’abord de l’impossibilité de décider d’adopter un enfant de cette façon. S’il s'agissait d’un enfant riche, de la même classe sociale et que la mère de l’enfant était morte dans l’histoire, cela aurait posé exactement les mêmes problèmes, Eric aurait été exclu par les autres enfants mais pas pour les mêmes raisons. Je crois que le plus important est la problématique familiale, on choisit sa famille ou on l'a subit. C’est ici que se situe le centre du film. En Colombie, de manière plus assumée qu’en France, les classes sociales sont séparées de telle façon qu’il n’y a pas de rencontre possible. Et si elle existe, elle sera toujours placée sous le signe de la condescendance d’un côté et de la peur de l’autre. Je pense qu’il faudrait qu’il en soit autrement mais à ce jour je ne vois pas comment ce que je présente dans le film soit vraiment réalisable.
Brayan Santamaria et Carlos Fernando Perez
- Y-a-t-il des films sur l’enfance qui vous ont influencé, que vous aviez dans le coin de la tête pour préparer votre film ?
Ce sont les films qui ont fait ressurgir mes impressions d’enfance, ceux que j’ai vu quand j’étais enfant et qui m’ont marqué. Cinema Paradiso de Guiseppe Tornatore, une histoire de père de substitution. m’avait beaucoup plu et m’avait fait pleuré. Je sais que Les 400 Coups et L’enfance nue sont là quelque part également mais je crois que Cinema Paradiso est beaucoup plus présent que les autres. Récemment, j'ai découvert un film avec Will Smith, A la recherche du bonheur, qui m’a beaucoup ému alors que tous les gens autour de moi le trouve très niais. C’est un peu un mélodrame à l’italienne avec des bons sentiments qui me touche terriblement en tant qu’enfant qui n’a pas connu son père.
- Ces influences sont assez surprenantes car votre film n’est pas du tout dans ce registre mais plutôt dans la veine d’un cinéma naturaliste. Vous n’avez pas l’impression qu’il est difficile de renouveler ce genre un peu rebattu qu’on voit beaucoup en festival et dans le cinéma d’auteur ?
Je n’arrive pas à réfléchir en ces termes-là, je pense que c’est plus un travail de critique. Mon approche à moi est personnelle, le film est une expression de moi-même. Je filme comme je vois et que le résultat ressemble à un autre film ou pas n’est pas vraiment la question. Il faut avant tout qu'il me ressemble. J’ai été très étonné d’avoir été sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes parce que je pensais que les critiques qui choisissent les films n’aimeraient jamais le mien parce que les prix que j’avais reçu pour mes courts métrages m’avaient été remis par des jurys de professionnels et de réalisateurs. Et finalement la critique a été très bonne car Gente de Bien est un film latino américain comme on en voit rarement, un peu tourné comme un film français. Ils ont donc pensé que c’était nouveau à contrario de ceux qui racontent toujours les mêmes problèmes, avec la même approche, les mêmes plans séquences, les mêmes sorties de cadre laissant l’événement majeur hors champ. Tout un tas de clichés d’un certain cinéma d’auteur. J’essaye de ne pas me placer par rapport à la nouveauté mais je sais très bien que certains se diront en voyant mon film qu’ils l’ont déjà vu ailleurs.
Alejandra Borreo (au centre)
- Vous dites avoir eu recours à l’improvisation. Qu’est-ce que cette méthode a changé dans votre direction d’acteurs ?
Je commence à trouver un système qui changera sans doute pour mon prochain film. Je pars d’un scénario écrit avec des dialogues que je ne donne pas aux comédiens car je ne leur livre pas le script, ils s’engagent sans scénario. Je leur ai seulement raconté l’histoire, à l’exception d'Alejandra Borrero (qui interprète Maria Isabel), la seule actrice professionnelle de l'équipe. Ensuite, j’improvise les scènes autour du thème avec un début, un milieu et une fin, d’abord en répétition puis sur le tournage. De ces improvisations se créer un texte qui n’est pas écrit à la virgule mais qui est redit d’une prise à l’autre car je fais beaucoup de prises, certaines sont presque identiques, d’autres complètement différentes. Les dialogues s’écrivent donc dans l’improvisation. D’ailleurs les scènes que je préfère sont celles qui ont été très peu répétées dont celle dans la piscine qui a été tournée pendant une journée. Les enfants connaissaient juste le descriptif de la scène, le fait qu’ils devaient se moquer d'Eric puis le rejeter.
- Cette scène est intéressante car elle montre un basculement dans le rapport entre les enfants. Eric devient exclu du groupe.
Je pense que les enfants sentaient déjà cette distance et lorsqu’ils ont su que Maria Isabel voulait le garder davantage, ils ont voulu l’exprimer naturellement par le rejet, comme une pulsion. Il se trouve que ce qui se passe dans le film s’est déroulé sur le tournage. Les enfants venaient du même milieu social et se connaissaient déjà entre eux et avaient un an de plus que Brayan qui joue Eric. Dès qu’ils se sont retrouvés à la maison de campagne, ils l’ont fortement exclu. J’ai donc joué avec cette situation lors cette journée de tournage qui était la plus dure pour tout le monde, et spécialement pour Brayan. Je les ai donc autorisé à l’exclure comme ils le faisaient tous les jours, leur disant qu’ils pouvaient le faire pendant les prises mais aussi entre les prises alors qu’habituellement je leur disais de ne pas se comporter de cette façon, que c’était de la folie de traiter quelqu’un aussi mal juste parce qu’il venait d’une autre classe sociale. Alors que là je leur ai dit : "Allez-y, amusez-vous !" Cette situation a généré une tension qui existe dans la scène car ce qui se vit est réel. Une méthode qui est assez proche de celle d’un Pialat.
- Mais pas avec la même perversité et le même sadisme que Pialat ?!
Je crois que Pialat était manipulateur mais la direction d’acteurs, ce n’est que de la manipulation. Après il faut aimer les gens avec qui on travaille. Et pourtant, si vous voyez Sophie Marceau dans Police, bien qu’il l’ait insultée, on voit bien qu’il la filme avec amour. Il existe bien sûr des limites morales et éthiques à la direction d’acteurs mais chacun met la limite là où il l’entend. Est-ce par exemple indécent d’exclure un enfant pendant toute une journée ? Pour moi non. Faire mal physiquement aux acteurs, oui.
- Vous viviez en France depuis treize ans. Comment revient-on dans un pays où l’on ne vit plus ?
Je réside à nouveau en Colombie depuis le tournage, notamment pour y préparer la sortie prochaine du film. Mais je n’ai jamais été déconnecté. Avant le tournage, j’y retournais une ou deux fois par an. Il est vrai qu’une partie de moi est française, du coup il arrivait que je ne comprenne pas les méthodes de travail des personnes avec lesquelles je travaillais. Le fait que certains arrivent sur un tournage toujours en retard de manière presque maladive est inenvisageable en France. D’un autre côté, je me sens vraiment colombien. J’ai montré mon film à des réalisateurs de ma génération qui l’aiment beaucoup parce qu’ils trouvent que c’est un film pour les colombiens.
- Quels cinéastes vous inspirent aujourd’hui ?
Noah Baumbach dont j’aime beaucoup les films, notamment Frances Ha, j’ai l’impression qu’on l’a vu mille fois et pourtant il y a une sensibilité qui me touche. Terrence Malick, bien sûr, The Tree of life est pour moi le plus grand film depuis Mulholland Drive. J’ai également revu La Vie d’Adèle à qui je reproche beaucoup de choses, notamment sa représentation sociale pleine de clichés mais je le trouve d’une puissance exceptionnelle. J’étais très mitigé la première fois mais avec le temps je commence à me dire que c’est un chef d’œuvre. On a rarement filmé une femme avec autant de force et d’amour. Et pour en revenir à Gente de Bien, je me dis que maintenant j’ai envie de faire des films peut-être avec plus d’erreurs mais aussi avec plus de folie et de désir. Ce que je reproche à mon film est qu’il reste un peu trop sage, il lui manque de l'élan. Quand je vois par exemple Party Girl, je trouve qu’il a davantage d’ampleur.
- Envisagez-vous de tourner prochainement en France ?
C’est étrange car je suis en train d’écrire l’histoire d’une femme et elles m’inspirent davantage en France qu’en Colombie. Je ne sais pas encore mais ce qui est sûr c’est que je finirai par tourner un film en France car c’est une partie de moi. Mais je suis pour l’instant plus attaché à la Colombie.
- Et accepteriez-vous une commande ou un projet qui ne vient pas de vous ?
Raging Bull est un de mes films de chevet et pourtant c’est Robert de Niro qui va voir Martin Scorsese en lui proposant le scénario. Et il devient un film sur Scorsese qui pourtant ne connaissait rien à la boxe. Si un projet comme celui-là (bien que je ne sois pas Scorsese !) parle de moi ou de quelque chose qui m’intéresse profondément, je pourrai le réaliser mais sinon je ne vois pas comment. J’ai des amis qui m’ont proposé des choses, notamment Michel Franco qui a réalisé Despues de Lucia et qui a monté une boîte de production au Mexique. Je ne sais pas si ça se concrétisera.
- A propos du Mexique, les triomphes hollywoodiens d’Alejandro Gonzalez Inarritu et Alfonso Cuaron et leurs sacres aux Oscars ont montré qu’ils n’avaient sans doute plus les moyens de leurs ambitions dans leur pays. Cuaron n’aurait sans doute pas pu réaliser Gravity là-bas. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement je préférais quand Cuaron faisait des films au Mexique. Par contre, le passage d’Inarritu aux Etats-Unis lui a fait du bien car c’est un moins bon cinéaste pour moi. Mais je crois qu’au Mexique on peut faire de grandes choses !
- Quel est alors le poids de l’identité d’un cinéaste par rapport à son pays ?
Mon premier court métrage, un film d’école, a été en compétition au festival de San Sebastian et le président du jury était Alfonso Cuaron. Javier Martin du Forum des Images qui a adoré mon film a invité Cuaron a venir le commenter avec moi après la projection face aux étudiants. Et cette question a été posée. Cuaron a répondu qu’il ne voyait aucune différence pour un mexicain de faire un film au Mexique, en France ou aux États-Unis. Alors que lorsque je vois qu’il tourne Y Tu Mama Tambien au Mexique qui raconte ce qu'il connaît et ce qu'il a vécu profondément, cela m’intéresse beaucoup plus que Gravity. L’important est de se retrouver soi-même et l’identité d’une personne passe parfois par la nationalité, parfois non. Tout dépend finalement du cinéaste.
Propos recueillis par Antoine Jullien
Colombie - 1h27
Réalisation : Franco Lolli - Scénario : Franco Lolli et Catherine Paillé
Avec : Brayan Santamaria (Eric), Carlos Fernando Perez (Gabriel), Alejandra Borrero (Maria Isabel).
Disponible en DVD chez Ad Vitam.
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