lundi 28 novembre 2016

Une Vie


Porter à l'écran la grande littérature française du XIXème siècle n'est pas chose aisée, et plusieurs réalisateurs s'y sont déjà cassé les dents, tombant le plus souvent dans la plate illustration. Stéphane Brizé, auréolé du succès critique et public de La Loi du Marché, s'est lancé ce défi, adapter Une Vie de Guy de Maupassant. Mais le cinéaste a choisi d'aller contre l'académisme en misant sur un dispositif de mise en scène à la hauteur des tourments de sa protagoniste et en prenant le risque de trahir tout en restant le plus fidèle possible à l'esprit du roman. Une gageure pas tout à fait accomplie.

Nous somme en Normandie, en 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s'envoler. 

Swann Arnaud et Judith Chemla

Stéphane Brizé a opté pour un format d'image carré, revenu à la mode depuis quelques années (The Artist, Ida, Mommy...), afin d'emprisonner son personnage qui ne quitte pratiquement pas l'écran de tout le film. Un processus à la fois justifié, le film étant uniquement raconté du point de vue de Jeanne, et un peu frustrant tant il réduit le champ des personnages secondaires. Mais la caméra du cinéaste parvient à saisir comme peu avant lui le rythme des saisons, la rosée du matin, les bourgeons du printemps. Une présence naturelle qui accompagne superbement les étapes de plus en dramatiques de la vie de cette femme guère vouée au bonheur, subissant continuellement la lâcheté et la cruauté des hommes. Une existence nourrie de déconvenues et de déceptions, racontée de manière fragmentée sur plus de trente années que le cinéaste rompt brutalement par des ellipses parfois sidérantes (le plan sur la tombe du père signifiant sa mort passée). 

Mais cette volonté farouche de casser les codes du film en costumes a pour défaut de freiner l'émotion. On est admiratif devant la radicalité de la mise en scène mais constamment en retrait. Stéphane Brizé nous transporte pleinement dans cette aristocratie provinciale du XIXème sans qu'à aucun moment la destinée de son héroïne ne nous touche véritablement. Le cinéaste finit donc par se retrouver lui-même un peu prisonnier de son format malgré la belle intériorité de Judith Chemla qui trouve ici son premier grand rôle au cinéma. Stéphane Brizé demeure néanmoins un cinéaste à suivre, lui qui n'aura finalement qu'un seul regret, celui de ne jamais plus pouvoir relire l’œuvre de Maupassant. 

Antoine Jullien

France - 1h59
Réalisation : Stéphane Brizé - Scénario : Stéphane Brizé et Florence Vignon d'après l'oeuvre de Guy de Maupassant
Avec : Judith Chemla (Jeanne), Jean-Pierre Darroussin (Le Baron), Yolande Moreau (La Baronne), Swann Arnaud (Julien).  


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