Lalo Schiffrin est l'un des compositeurs les plus célèbres de l'histoire du cinéma et a marqué de son empreinte les séquences de Bullit, L'Inspecteur Harry, Opération Dragon ou Le Kid de Cincinnati.
Après des études de musique classique au conservatoire de Paris où il vécu de 1952 à 1956, il devient pianiste de jazz, notamment pour le quintette de Dizzi Gillespie. Arrangeur de Count Basie et Stan Getz, il est ensuite appelé par le réalisateur René Clément en 1964 pour composer la musique des Félins. Auteur de très nombreuses bandes originales dont le fameux générique de Mission : Impossible et la publicité Dim (et oui !), Lalo Schiffrin a su brillamment marier ses influences musicales dans un détonnant cocktail jazz pop.
A l'occasion de l'hommage qui lui a été rendu par la Cinémathèque française et le festival de Cinéma et Musique de film de La Baule où un concert a été donné en son honneur*, nous avons eu le privilège de rencontrer ce grand monsieur, d'une superbe humilité.
Mon Cinématographe : Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma ?
Lalo Schiffrin : Des films d'horreur comme Frankenstein et Dracula que j'allais voir enfant avec ma grand-mère car mes parents n'aimaient pas ce genre de films. Et j'ai compris dès cet âge-là que l'effet de terreur ne marchait pas sans la musique.
- Comment compose-t-on pour le cinéma ?
Le plus important pour moi est le rythme. Comment puis-je connaître le rythme d'un film en lisant juste le scénario ? Il faut voir le film terminé pour comprendre son
rythme et sa vitesse. C'est à ce moment là seulement que je peux commencer à composer. Lorsque Stuart Rosenberg m'a montré le générique de Luke la main froide, j'ai eu soudain l'idée d'une musique parallèle avec deux guitares acoustiques, la première jouant la mélodie et la deuxième l'accompagnant. Les deux parties de guitare sont venues dans ma tête en voyant le film. Cela s'est déroulé de la même manière sur L'Inspecteur Harry ou Opération Dragon.
- Vos musiques de films sont souvent plus connues que les cinéastes avec lesquels vous avez travaillé. Quand on évoque Bullit, on songe à Steve McQueen et vous mais pas forcément à Peter Yates. Que pensez-vous du rapport cinéaste-compositeur ? Et la place que l'un doit avoir par rapport à l'autre ?
Je travaille pour le metteur en scène. C'est lui qui supervise l'ensemble du film. Mais pour communiquer sur la musique, c'est plus compliqué. Il peut me demander une musique très joyeuse mais joyeuse comment ? Fortissimo joyeuse ? Il existe beaucoup de degrés, de variations. Je vais vous donner un exemple de collaboration. J'ai fait plusieurs films avec Don Siegel. La fin d'Un Espion de trop devait aller très crescendo musicalement, avec beaucoup de suspense. J'ai eu l'idée de mettre en contrepoint un orgue électrique avec des cymbales et une mandocello, une sorte de mandoline électrique. Je pensais que le résultat serait trop vulgaire mais Siegel m'a encouragé. Et c'est vrai que l'effet de contrepoint amplifie l’impression de danger.
- En quoi vos rencontres avec des jazzmen comme Count Basie ou Dizzy Gillespie ont-elles pu influencer vos musiques ?
Mes deux influences majeures ont été Olivier Messiaen qui fut mon professeur au Conservatoire de Paris et Dizzy Gillespie. C'était un grand musicien, un virtuose de la trompette. J'ai appris beaucoup de lui. Son vrai nom était John Birks Gillespie. On l'appelait Dizzy parce qu'il était un peu fou !
- Parmi toutes les musiques que vous avez composé, en existe-t-il une que vous affectionnez plus que les autres ?
C'est comme si vous demandiez à une personne qui a des enfants lequel il préfère. C'est impossible de choisir.
- Certains films sont pourtant plus marquants que d'autres. Quand George Lucas, inconnu à l'époque, vous propose THX 1138, comment parvient-il à vous convaincre ?
Ce que j'aimais, c'était créer de la musique futuriste. Et ses références à George Orwell et 1984 m'ont plu. C'est pour cette raison que j'ai accepté.
- Trouvez-vous également votre inspiration chez les compositeurs de musique de films ?
Non, pas vraiment. John Williams et Jerry Goldsmith, qui étaient non seulement des collègues mais aussi des amis, ont débuté en même temps que moi. Nous possédions nos bureaux les uns à côté des autres au département musique d'Universal. Eux comme moi ont été influencé par la musique classique. Le thème des Dents de la mer s'inspire d'ailleurs beaucoup de Stravinsky. Mais c'est aux critiques, au public et à mes collègues de déceler les
influences. Moi-même, je ne suis pas objectif !
- Vous travaillez actuellement sur des projets ? Vous continuez à composer ?
Je
n'écris plus de musiques de films ni de séries TV. Mais je viens de
terminer un concert pour tuba avec l'orchestre symphonique de Chicago
dirigé par Ricardo Muti et une sonate pour piano qui va être
enregistrée au début de l'année prochaine. J'ai aussi composé un concert
pour guitare avec l'orchestre philharmonique de Los Angeles sous la
conduite de Gustavo Dudamel.
- La France vous a fait Commandeur des Arts et des Lettres. Cette distinction vous touche ?
J'en
suis très heureux et aussi ému. J'ai pleuré l'autre jour devant le
restaurant de Saint-Germain-des-Prés où j'allais souvent quand j'étais étudiant. Que voulez-vous, je suis un sentimental. Et je crois que
sans sentiments, je n'aurais jamais pu être un artiste.
Propos recueillis par Antoine Jullien
Remerciements au Festival de Cinéma et Musique de Film de La Baule
Remerciements au Festival de Cinéma et Musique de Film de La Baule
* A écouter le coffret de 5 CD The Sound of Lalo Schiffrin dans la collection Ecoutez le cinéma ! (Emarcy/ Decca/Universal).
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