lundi 29 février 2016

Interview de Patrice Leconte - 2ème partie


 
Suite et fin de l'interview que nous a accordé le réalisateur Patrice Leconte. Il évoque ici ses méthodes de travail peu conventionnelles et son rapport à l'image et aux nouvelles technologies.

- Mon Cinématographe : Le scénario de Ridicule a été écrit par Rémi Waterhouse. A partir de ce film, la plupart des scénarios que vous tournerez ne seront pas de vous, une pratique plutôt inhabituelle en France. 

Patrice Leconte : Avant la Nouvelle Vague, les cinéastes dont on aimait les films et dont on aime encore les films n'écrivaient pas systématiquement leurs scripts et ils n'étaient pas considérés pour autant comme des tâcherons. Et puis est arrivé la Nouvelle Vague qui a imposé le fait qu'un cinéaste se doit d'écrire lui-même ses propres films. Je trouve que ce n'est pas un service à rendre au cinéma car les réalisateurs doués ne sont pas forcément de bons scénaristes. Et l'inverse est aussi vrai. Ce sont deux métiers différents et complémentaires. Quand j'ai eu entre les mains le scénario de Ridicule, c'était le premier script qui ne venait pas de moi que je trouvais formidable, dans lequel je me retrouvais complètement, qui résonnait en moi. C'était la première fois que je tournais un film que je n'avais pas écrit. Cela m'a poussé à être attentif à des films dont je n'étais pas directement l'auteur.

- Vous avez la particularité de cadrer vos films. En quoi est-ce un apport indispensable à votre mise en scène ? 

J'ai exaucé ce vœu sur le tournage de Tandem. C'était la première que je cadrais un des mes films. Il ne s'agissait pas de faire la lumière mais tenir la caméra, filmer moi-même. Et je n'ai plus jamais abandonné cette façon de faire. Le jour où je n'aurais plus la force ou la santé pour cadrer mes films, j'arrêterai de faire du cinéma parce que cela fait partie intégrante de la mise en scène. Le cinéma est une affaire de regard qui passe par le cadre. Et si je délègue le cadre, c'est comme si je prêtais mon œil à quelqu'un d'autre. Je ne peux pas l'envisager. Et avec les comédiens, cela procure une complicité, une intimité voire une sensualité parfois qui est quelque chose d’irremplaçable. Je ne comprends pas pourquoi si peu de réalisateurs cadrent leurs films. Enfin, chacun voit midi à sa porte !

Patrice Leconte avec Vanessa Paradis, tenant la caméra sur le tournage de La Fille sur le Pont


- A l'instar de Tim Burton, certains cinéastes ont une patte visuelle immédiatement reconnaissable. Vous avez œuvré dans presque tous les genres. Comment reconnaît-on cependant un film de Patrice Leconte ?

Ce n'est pas à moi de répondre à cette question car je n'en sais rien. Il y a en effet quelques cinéastes qu'on identifie par leur style. Bergman, Fellini, Tim Burton, Orson Welles et quelques autres. Mais c'est rarissime. Avoir réalisé toute ma vie des films aussi différents des uns des autres n'a sans doute pas aidé à la reconnaissance de mes films. Mais franchement, ça m'est égal. On dit souvent que les grands cinéastes creusent tout au long de leur carrière le même sillon. Et bien je ne serai pas un grand cinéaste et je m'en fiche parce que ça ne m'intéresse pas d'être un grand cinéaste. Ce qui m'intéresse, c'est d'entreprendre des films qui me plaisent.

- Comment vous situez-vous par rapport aux nouvelles technologies ? Êtes-vous un nostalgique de la pellicule comme Tarantino ou au contraire êtes-vous sensible aux outils numériques ?

On ne peut pas mener éternellement un combat d'arrière garde. C'est soit crétin soit snob comme dans le cas de Tarantino ou dans celui de Xavier Dolan qui tourne son film dans le format 1.33 à la manière des frères Lumière. Personnellement, je trouve ça complètement con ! Ne pas vivre avec son temps, ne pas tourner en numérique, refuser le Cinémascope... Qu'est-ce que vous penseriez d'un type qui vous dit : " L'ordinateur, pourquoi faire ? Des E-mails ? Non, je vais envoyer mes lettres par la poste !" Vous diriez que c'est un réac rétrograde qui ne vit pas avec son époque. L'art se doit d'accompagner l'évolution de la technologie. Et c'est particulièrement vrai avec le cinéma qui passe nécessairement par une filière technologique. Je suis ravi d'utiliser le numérique et les toutes les possibilités qu'il offre, pouvoir monter en virtuel avec ma monteuse.

Dogora, le premier film de Patrice Leconte tourné en numérique


- La nouvelle génération a un accès immédiat à l'image et aux caméras. Ils ne deviendront pas pour autant tous des cinéastes. Qu'est-ce qui fait alors, selon vous, un cinéaste ?

Il est vrai qu'il est plus facile aujourd’hui qu'autrefois de s'exprimer par l'image. Je vais prendre une comparaison très simple. Quand on écrivait avec des stylos bille Bic, on pouvait être un grand écrivain. A partir du moment où les ordinateurs et le traitement de texte ont vu le jour, un tas de gens se sont pris pour des écrivains simplement parce que les pages qu'ils écrivaient sortaient proprement de leur imprimante. Mais ce n'est pas parce qu'une page sort proprement de l'imprimante que vous êtes Patrick Modiano ! Vous êtes un écrivain parce que vous savez écrire, que ce soit avec un Bic ou un clavier. Et vous êtes un cinéaste parce que vous savez filmer, que vous avez un œil, une personnalité. Et peu importe que vous vous exprimiez avec une grosse caméra 35 ou avec un Iphone. La facilité que l'on a désormais à fabriquer des images ne transforme pas tout le monde en Orson Welles.

- S'il n'y avait qu'une seule réplique à retenir de l'un de vos films, laquelle serait-elle ?

Ce serait dans La fille sur le Pont. Quand Daniel Auteuil et Vanessa Paradis se séparent. Ils sont sur le bateau, elle s'en va. Elle est un peu embarrassée de le quitter et lui demande : "Qu'est-ce qu'on fait, on s'embrasse, on se sert la main ?" Et il lui répond :"On s'oublie".  

Propos recueillis par Antoine Jullien

La 1ère partie de l'interview est à retrouver ICI.  
 







Filmographie sélective : 

1974 : Les vécés étaient fermés de l'intérieur
1978 : Les Bronzés
1979 : Les Bronzés font du ski
1981 : Viens chez moi, j'habite chez une copine
1985 : Les Spécialistes
1987 : Tandem
1989 : Monsieur Hire
1990 : Le Mari de la coiffeuse
1996 : Les Grands Ducs / Ridicule
1998 : 1 chance sur 2
1999 : La Fille sur le Pont 
2000 : La veuve de Saint-Pierre
2002 : L'Homme du train
2004 : Confidences trop intimes / Dogora
2006 : Les Bronzés 3 / Mon Meilleur Ami
2012 : Le Magasin des suicides
2014 : Une Promesse / Une heure de tranquillité 

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