mercredi 11 avril 2012

Twixt


Qu'arrive-t-il exactement à Francis Ford Coppola ? Depuis quelques films, le légendaire cinéaste a entrepris un retour à ses balbutiements de réalisateur, une époque où il se considérait comme libre et affranchi de la pesanteur des studios. Cette période avait donné Les Gens de la pluie, une oeuvre pleine de vie et de maladresses sur la fuite d'une jeune mère de famille. Après les triomphes des années 70, le cinéaste n'a eu de cesse d'expérimenter mais les déconvenues successives l'ont obligé à renflouer sa société, American Zoetrope, en acceptant des projets plus "commerciaux". Puis vient le temps du silence qui dura dix ans avant cette série de films produits en totale indépendance. Après L'Homme sans âge et Tetro, voila donc Twixt, très inspiré par l'univers d'Edgar Allan Poe. Mais la démarche de Coppola, aussi sincère soit-elle, ne peut pas excuser un tel désastre. 

Un écrivain sur le déclin (Val Kilmer) arrive dans une petite bourgade des Etats-Unis pour y promouvoir son dernier roman de sorcellerie. Il se fait entraîner par le shérif dans une mystérieuse histoire de meurtre dont la victime est une jeune fille du coin. Un rêve va alors l'amener à trouver un sujet pour son nouveau roman, lié à cette ténébreuse histoire... 

Val Kilmer et Dakota Fanning 

L'écrivain has been est bien évidemment une métaphore du cinéaste qui pousse l'autocritique jusqu'à situer la dédicace du romancier au beau milieu d'une quincaillerie. Coppola filme une autre séquence savoureuse où l'on voit le pauvre Val Kilmer essayant désespérément de trouver un début à son livre à l'instar de Coppola tâtonnant devant les premières lignes de son script. Mais cette mise en abîme, au demeurant sympathique, est aussi un cruel constat de l'impasse dans laquelle se trouve Coppola. Le cinéaste n'a manifestement pas voulu réaliser un film d'horreur classique mais plutôt mixer plusieurs influences avec Poe comme source principale. Le réalisateur s'est même permis une ultime coquetterie en utilisant à deux reprises la 3D. Tout ça pour rien. 

Francis Ford Coppola sur le tournage entouré de Bruce Dern et Val Kilmer

Nous ne nous attarderons pas sur cette utilisation hasardeuse du relief pour se concentrer sur la sidérante laideur visuelle dont le cinéaste s'est rendue coupable. S'il avait voulu rendre un hommage au cinéma bricolé de son enfance, pourquoi n'a t-il pas eu recours à des techniques à l'ancienne plutôt qu'à cette ignoble bouillie numérique qui ne dégage aucune poésie mais encombre tous les ports de l'image. On sait bien que le film est tourné à l'économie mais de tels effets visuels, d'une ringardise absolue, sont tout simplement innaceptables. Et l'indulgence que l'on pourrait exprimer est encore moins de mise lorsqu'il s'agit d'un cinéaste aussi important que Francis Ford Coppola. 

L'incroyable vacuité du scénario, qui mélange maladroitement les moments réels et rêvés, mêlés à des dialogues affligeants et à une imagerie d'un autre âge, nous interrogent durement. Est-ce parce que le film est incontestablement personnel qu'il est bon ? Est-ce parce que le cinéaste est en totale liberté qu'il est au sommet de son art ? Lui-même reconnaît que ses chefs d'oeuvre font partie du passé mais un retour sur sa filmographie s'impose. Si Twixt ne peut pas rivaliser avec l'ambition démesurée d'Apocalypse Now, on peut tenter une comparaison avec Conversation Secrète. Les deux films n'ont pas grand chose en commun si ce n'est leur état d'esprit. Ils ont été tous les deux réalisés avec une grande liberté artistique et leurs sujets sont traités de manière intimiste. Mais la comparaison s'arrête-là, tant Conversation Secrète impressionne encore par la puissance de sa mise en scène tandis que Twixt consterne à tous niveaux. Quant à la réminiscence des épisodes douloureux de sa vie, n'est-ce pas à la fin du Parrain III que Coppola évoque de la plus déchirante des manières la mort de son fils, lorsque, au moment de perdre sa fille, le cri de douleur de Michael Corleone est étouffé par la musique ? Et non lors de ce ridicule flash-back qui voit Val Kilmer revivre la mort de son enfant dans les eaux d'une rivière. La réalité est parfois cruelle et l'épilogue, en forme de funeste blague, vient nous rappeler que le grand Coppola n'est plus. En espérant que ses aficionados y trouvent quand même une part de bonheur cinéphile...  

Antoine Jullien

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