mercredi 11 février 2015

L'évasion fiscale et ses petits (et grands) secrets

L'ENQUÊTE / LE PRIX A PAYER


Il est toujours troublant de voir à quel point l'actualité et la fiction se juxtaposent sans cesse lorsqu'elles ne se confondent pas entièrement. Alors qu'une affaire d'évasion fiscale à grande échelle vient tout juste d'éclater que sort L'Enquête de Vincent Garenq qui revient sur l'un des scandales politico-financiers majeurs de la dernière décennie. Le réalisateur, que l'on sait attaché à un certain cinéma du réel (voir Présumé coupable sur le procès d'Outreau), s'est plongé tête baissée dans les ouvrages sulfureux du journaliste Denis Robert par qui tout est arrivé. 

Cet homme, campé par Gilles Lellouche, va mettre le feu aux poudres dans le monde de la finance en dénonçant le fontionnnement opaque de la société bancaire Clearstream. Sa quête de vérité va rejoindre une autre affaire dite "des frégates de Taïwan" instruite par le juge Renaud Van Ryumbeke (Charles Berling). Leurs chemins vont les conduire au coeur d'un scandale qui va secouer la République. 

Gilles Lellouche

Grâce à un scénario très travaillé et documenté, Vincent Garenq est parvenu à rendre compréhensible une intrigue éminemment complexe, aux ramifications multiples, qui mêle journalistes, avocats, magistrats et politiques. Car avant d'être le symbole de la guerre entre deux prétendants à l'élection présidentielle, l'Affaire Clearstream est d'abord la divulgation par Denis Robert d'un système de comptes non publiés faisant de la chambre de compensation Clearstream une plateforme mondiale de l'évasion fiscale et du blanchiment d'argent. Mais la société luxembourgeoise va démentir ces révélations en attaquant le journaliste en diffamation, avec la complicité de certains médias. Le spectateur voit Denis Robert devenir la proie d'une organisation qui va faire de lui un coupable.

Charles Berling

C'est la partie la plus intéressante du film car elle nous éclaire brillamment sur des éléments auxquels on avait pas (ou peu) connaissance. Collant sa caméra aux basques du journaliste déterminé, le réalisateur nous dévoile un monde secret qui semble n'obéir à aucune loi ni aucune règle. Soutenu dans son combat par quelques proches (sa famille, son éditeur), Denis Robert va voir débouler une meute prête à l’abattre. Mais le cinéaste ne simplifie pas pour autant son propos et ne verse pas dans le conspirationnisme à la petite semaine. S'il avance des grilles de lecture, il ne désigne pas clairement les coupables, particulièrement dans le second volet de l'affaire, celui du présumé complot politique visant Nicolas Sarkozy. Prudent, Vincent Garenq incrimine l'informaticien Imad Lahoud mais reste plus évasif sur les rôles joués par Jean-Louis Gergorin, vice-président d'EADS, et Dominique de Villepin. 

Si Vincent Garenq réalise un film dossier de bonne facture, il lui manque un supplément d'âme, à l'instar de Gilles Lellouche, convaincant dans la peau du journaliste mais un peu trop linéaire dans son incarnation. On aurait aimé que L'Enquête déborde davantage du cadre pour s’interroger sur nos sociétés contemporaines comme Francesco Rosi en son temps qui parvenait, à partir de faits réels, à décrypter la société italienne et ses désillusions démocratiques. Et lorsque Vincent Garenq s'éloigne de l'intrigue en rentrant dans la vie intime de ses protagonistes, il est moins inspiré. Mais souhaitons à ce cinéma d'investigation, encore trop rare dans l'Hexagone, de trouver un public qui ne sera probablement guère rassuré face à l'issue de cette ténébreuse affaire. 

France - 1h46
Réalisation : Vincent Garenq - Scénario : Vincent Garenq et Stéphane Cabel avec la participation de Denis Robert
Avec : Gilles Lellouche (Denis Robert), Charles Berling (Le Juge Van Ryumbeke), Laurent Capelluto (Imad Lahoud), Florence Loiret Caille.





L'évasion fiscale est également au centre du documentaire Le prix à payer du canadien Harold Crooks qui dénonce l'écart des revenus entre les plus privilégiés et le reste du monde, creusant davantage les inégalités. Pour étayer sa démonstration, le réalisateur convoque des experts du monde de la finance dont d'anciens membres repentis du système fiscal. 

Le réalisateur aurait dû limiter le nombre d'intervenants au risque de noyer le spectateur sous un flot ininterrompu d'informations. Et même si Harold Creeks aère son film de quelques parenthèses climatiques, il ne parvient pas toujours à sortir des sentiers battus du documentaire pédagogique. Mais il réussit parfaitement à démontrer la manière insidieuse dont les multinationales usent allègrement des paradis fiscaux, en toute légalité. Quelques moments savoureux retiennent notre attention notamment lorsque les responsables d'Amazon sont entendus par une commission parlementaire britannique. Un grand moment d'hypocrisie larvée, qui, à l'image de la résolution du film, donne peu d'espoir sur la fin de ce système totalement déréglé, aux funestes conséquences. 

Antoine Jullien


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