Un homme et une femme se retrouvent enfermés dans les toilettes d'un restaurant chinois. L'odeur guère agréable de l'endroit n'encourage pas à la discussion mais la gêne mêlée au ridicule de la situation créent une complicité entre les deux personnages. On croit assister aux prémices d'une comédie romantique et les séquences suivantes, où l'on voit Jude et Mina habiter ensemble puis se marier, renforce cette impression. Mais la jeune femme tombe enceinte et le film de Saverio Costanzo bascule définitivement.
L'arrivée du bébé bouleverse la relation du couple. Mina, persuadée que son enfant est unique, le protège de façon obsessionnelle du monde extérieur. Très amoureux d'elle, Jude respecte d'abord sa position avant de comprendre que son fils est en danger et que sa compagne perd le contact avec la réalité.
Alba Rohrwacher
Hungry Hearts est un film très dérangeant car il aborde un sujet relativement tabou : la déviance maternelle. Le réalisateur Saverio Costanzo filme une maman qui est persuadée de faire le bien à son bébé alors qu'elle contribue à l'affaiblir en le sous alimentant selon des préceptes délirants. Mais le cinéaste réussit le pari difficile de ne pas sombrer dans le manichéisme. Il alterne subtilement les points de vue, s'efforçant de ne pas juger ses protagonistes bien que le spectateur prenne de fait partie pour Jude, particulièrement lors de scènes surréalistes qui interpellent où le nouveau papa est obligé de nourrir normalement son fils dans une église, à l'insu de sa femme.
Adam Driver
Un malaise de plus en plus palpable envahit le film à l'image du comportement irrationnel de Mina, dangereuse pour son fils alors qu'elle croit l'aimer profondément. Un amour que le cinéaste ne remet d'ailleurs nullement en question, ce qui désarçonne le spectateur, allant jusqu'à la filmer avec son enfant sur la plage, au crépuscule, dans des moments de grande tendresse. L'inquiétante instabilité de Mina est renforcée par l'interprétation saisissante d'Alba Rorhwacher (vue dans Amore et Les Merveilles) qui a reçu, avec son partenaire Adam Driver (de la série Girls), le prix d'interprétation à la Mostra de Venise. L'acteur, avec cet air de grand échalas, écartelé entre l'amour pour sa femme et la survie de son fils, est aussi d'une grande justesse.
Saverio Costanzo a fait le choix judicieux de transposer l'histoire originale (le film est adapté du roman de Marco Franzosco) à New York, mégalopole étouffante qui emprisonne les protagonistes et accentue leur solitude. Le réalisateur dit s'être inspiré du cinéma de John Cassavetes et d'Une femme sous influence, et l'on reconnaît en effet l'influence du grand cinéaste à l'utilisation de la caméra portée très proche des acteurs et à une certaine part d'improvisation. La mise en scène de Costanzo va évoluer au gré du récit, les cadrages vont se déformer, donnant à l'appartement du couple des perspectives irréelles. Le film devient alors un terrifiant thriller psychologique, pas très éloigné du Rosemary's Baby de Roman Polanski, sauf qu'ici le mal est plus profond. Saverio Constanzo signe une œuvre étouffante, sans cesse sur la tangente, dont l'issue fatalement dramatique nous bouscule longtemps après la projection. A déconseiller toutefois aux jeunes parents !
Antoine Jullien
Italie - 1h53
Réalisation et Scénario : Saverio Costanzo d'après le roman "Il bambino indaco" de Marco Franzosco
Avec : Alba Rohrwacher (Mina), Adam Driver (Jude), Roberta Maxwell (Anne).
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