Triomphe absolu aux États-Unis, American Sniper est devenu le plus gros succès de Clint Eastwood. La légende de 84 ans a suscité une intense polémique, accusée par certains d'avoir réalisé un film de propagande belliciste. L'homme a toujours aimé jouer avec l’ambiguïté, mettant régulièrement à mal ses valeurs républicaines. Autrefois considéré comme un dangereux fasciste, il est aujourd'hui un cinéaste unanimement célébré, le dernier des géants du grand cinéma classique hollywoodien. Une carrière passionnante qui a régulièrement pris des chemins de traverse, questionnant la moralité de notre époque et la frontière de plus en plus ténue entre le bien et le mal.
Après être passée entre les mains de plusieurs réalisateurs de renom (dont Steven Spielberg), l'adaptation du livre de Chris Kyle a finalement été confiée à Dirty Harry. Soit l'histoire vraie du sniper le plus redoutable de l'armée américaine, auteur de plus de cent soixante "confirmed kill". Avec un tel sujet, nos craintes étaient fondées. Et elles ne se sont malheureusement pas estompées.
Bradley Cooper
Le film suit le parcours de ce soldat des Navy SEAL, tireur d'élite envoyé en Irak pour protéger ses camarades. Grâce à sa précision chirurgicale, il fait de nombreuses victimes et va bientôt décrocher le surnom de Légende. Mais sa réputation se propage au delà des lignes ennemies et sa tête est mise à prix par les insurgés. Malgré le danger permanent et le fait de rester éloigné de sa famille, il participe à plusieurs batailles décisives avant de rentrer au bercail et d'être tué par un vétéran en 2013.
Alors que le film de guerre a connu maintes révolutions esthétiques, portées notamment par Kathryn Bigelow et Paul Greengrass, Clint Eastwood reste dans les sentiers battus d'une mise en scène à l'ancienne mais diablement efficace. La limpidité du découpage et l'habileté du montage sont encore des exemples à suivre pour des futurs cinéastes. Et bien qu'il soit dans un registre éprouvé, le réalisateur parvient à nous scotcher à plusieurs reprises comme lors de l'assaut final plongé dans une tempête de sable. Réaliste et cru, le conflit est montré comme un piège sans issue, une souricière dont il est très difficile de s'extirper.
Bradley Cooper et Sienna Miller
Clint Eastwood en propose une métaphore convaincante lorsqu'il met en parallèle la psychologie défaillante de son héros qui n'arrive plus à sortir mentalement de l'enfer de la guerre. Chez lui, hagard devant son poste de télévision éteint, résonne encore dans sa tête les impacts de balles et les bruits d'explosion. Alors que dans les premières scènes, le cinéaste brosse le portrait d'un patriote typiquement américain à qui l'on a appris à devenir le berger pour protéger ses moutons face à la menace des loups, Eastwood s'en détache progressivement afin d'explorer l'état d'un homme qui perd ses repères mais également sa famille qu'il ne voit presque plus. Les séquences avec sa femme (Sienna Miller) sont sobres et tenues, à l'image du long métrage qui devient plus trouble et plus intéressant à mesure que le récit évolue.
Mais Clint Eastwood gâche tout dans un épilogue à la limite du supportable qui glorifie sans réserve son héros. On sait que le cinéaste s'est éloigné du vrai Chris Kyle qui déclarait être parti faire la guerre "en terre impie" et traitait les Irakiens de "sauvages". L'interprétation de Bradley Cooper en fait un personnage plus nuancé qui permet au spectateur de mieux s'identifier à lui. Mais le processus est retors car il met délibérément de côté les aspects les moins reluisants du bonhomme et, plus grave, n'interroge nullement ses actes (à l'exception d'une scène chez le médecin) de même que, à l'image d'un Kyle droit dans ses bottes, Clint Eastwood ne remet jamais en question cette guerre qui est pourtant au cœur de son film. Il est difficilement acceptable qu''un cinéaste comme Eastwood éprouve si peu de recul vis à vis de son protagoniste, et si tel n'était pas le cas ce final malheureux n'aurait pas lieu d'être. On comprend alors pourquoi une grande partie du public américain ait applaudi cet hommage appuyé à une gloire yankee. Mais on voit mal comment des spectateurs éclairés puissent encore y déceler la fameuse zone de gris eastwoodienne, tristement effacée au profit d'un manichéisme simpliste. Le patriotisme a des vertus, pas sûr qu'elles prennent de la hauteur après les salves de ce tireur de la mort.
Antoine Jullien
Etats-Unis - 2h12
Réalisation : Clint Eastwood - Scénario : Jason Hall d'après le livre de Chris Kyle, Scott McEwen et Jim DeFelice
Avec : Bradley Cooper (Chris Kyle), Sienna Miller (Taya Kyle), Luke Grimes (Marc Lee), Jake McDorman (Biggles).
Disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Vidéo.
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