Mort. Résurrection. Chasteté. Prière. Pain quotidien. Le champ lexical de la religion n’aura jamais été autant décliné chez Bruno Dumont, pourtant spécialiste du genre, que dans son nouveau film. Mais jamais non plus il ne l’aura autant distordu.
On l’appelle « le gars ». Il arrive d’on ne sait où et repartira d’où il est venu. Comme en mission. Mission messianique ou presque : exorciser une gamine. Il vit loin des regards scrutateurs du village, dans les dunes de la mer du Nord, ces « terrains vagues » chers à Brel. Il se chauffe au feu de bois. Aux flammes de l’enfer ? Il a pris sous sa protection celle qui, non plus, n’a pas de prénom. On l’appelle « Elle ». Le gars vient de flinguer son père, à Elle. Crime sans châtiment : l’affaire est classée sans suite. Elle aimerait bien que le gars l’aime un peu. Quitte à ce qu’il la prenne comme ça, presque bestialement. Il n’en sera rien. Il viendra tous les jours prendre le pain quotidien qu’elle lui remet au pas de sa porte. Ils marcheront beaucoup dans ce décor marécageux de la côté d’Opale, entre bourbier et sable fin, dans cette espèce de no man’s land, comme entre deux mondes. La mer est à deux pas mais c’est sur l’eau croupie d’un étang qu’il va la faire marcher. Et d’où elle va ressusciter.
Si l’effet de surprise est désormais moins prégnant que lors de la découverte des premiers opus de Bruno Dumont, d’autant que le cinéaste ne se renouvelle pas vraiment dans la forme, il n’en demeure pas moins que l’empreinte laissée par ses films est tenace. Difficile d’oublier les errances du couple quasi autiste, animal de 29 palms, chef d’œuvre sur l’incommunicabilité autant que la crudité de certaines scènes de L’Humanité , autre monument récompensé à Cannes en 1999.
David Dewaele et Alexandra Lematre
Nous sommes donc toujours face à des laissés pour compte aux accents dostoïevskiens. Visages aussi cabossés que les âmes, ils errent dans cette région sinistrée du Nord, comme Raskolnikov se perd dans les bas-fonds pétersbourgeois, mais que le cinéaste filme de manière magistrale - « anti-boonesque » en diable- comme de véritables toiles de maîtres. Le dialogue toujours réduit au strict minimum (on se siffle pour s’interpeler) s’accompagne de bruitages (jamais de musique), de respirations saccadées comme autant de souffles spasmodiques, entre trépas et résurrection.
Chez Dumont, l’Homme, au centre de tout doit aussi être Monsieur Toutlemonde. Pas de vedettes donc, trop identifiables. Des visages anonymes qui retomberont dans cet anonymat. En faisant fi de tout artifice (musique, maquillage, costumes élaborés, dialogues), il sublime la nature. Une nature austère, démoniaque même. Mais en la magnifiant ainsi dans des plans larges, il créé l’intériorité des personnages, dit-il. Et c’est alors la théandricité qui inonde son propos. Cette spiritualité quasi surnaturelle que l’on n’avait pas vue dans le cinéma depuis Bresson. Et pourtant, on peut aisément trouver des arguments totalement inverses, les personnages semblant bafouer tout mysticisme, toute déisme en eux. Tout et son contraire, donc. De quoi alimenter bien des réflexions. Et ça, le cinéma de Bruno Dumont s’y emploie à merveille…
Erik Dzarli
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