jeudi 23 juillet 2015

Love

 
Refoulé lors de la séance de minuit du festival de Cannes qui avait laissé aux portes du Théâtre Lumière des centaines de festivaliers frustrés et furieux, votre serviteur n'avait pas pu votre rendre compte de l'effervescence délirante autour du nouveau film de Gaspar Noé, Love. Présenté comme un porno en 3D, le film en a pourtant fait débander plus d'un et divisé une nouvelle fois la critique. Passé l'hystérie cannoise, qu'en reste-il, à part une futile polémique autour de son interdiction en salles aux mineurs ? Il y a bien du sexe non simulé dans Love * mais on est loin d'une banale production masturbatoire. Gaspar Noé est un auteur, n'est-ce pas, et le monsieur tient bien à ce qu'on ne l'oublie pas. 

Un matin, le téléphone de Murphy sonne. L'américain de 25 ans se réveille entouré de sa femme et de son enfant de 2 ans. Sur le message, la mère d'Electra, très inquiète, demande au jeune homme s'il n'a pas de nouvelles de sa fille qui a disparu depuis plusieurs mois. Au cours de cette journée, Murphy, seul dans son appartement, se souvient de sa grande histoire d'amour avec Electra. 

 Karl Glusman, Aomi Muyok et Klara Kristin

Depuis ses débuts, Gaspar Noé provoque, fascine, consterne et il aime ça. Le scandale suscité par Irréversible l'avait réjoui et le trip hallucinatoire d'Enter the Void l'a installé comme un réalisateur incontournable, que l'on déteste ou que l'on adule. Avec son compère Vincent Maraval de Wild Bunch, le réalisateur a une fois encore réussi à provoquer une attente parfaitement orchestrée à coup d'affiches choc et propos ad hoc. Une stratégie à double tranchant quand on constate que le film n'a pas grand chose à voir avec tout ce barnum. Gaspar Noé, pris au piège de son propre souffre ? 

Le cinéaste a voulu raconter une intense histoire d'amour comportant des scènes de sexe frontales car les sentiments et la chair sont indissociables. Une démarche un peu gratuite sur le papier qui prend une dimension nouvelle à l'écran. Les personnages, filmés en plan séquence (une habitude chez Noé), le plus souvent en plongée ou de dos, sont confrontés au désir et à ses excès dans un espace temps totalement fragmenté. Le cinéaste malmène la narration en utilisant un procédé de montage particulièrement efficace, le clignement d’œil. L'enchaînement des séquences se fait au moyen d'un bref fondu au noir qui donne au film une étonnante cohérence, un long souvenir syncopé se révélant par bribes et nappé (un peu trop !) d'une bande son qui alterne presque tous les genres musicaux.

L'équipe du film lors du Festival de Cannes

Bien qu'elle soit moins expérimentale et radicale que dans les films précédents de Gaspar Noé, la forme nous convainc donc... au détriment du fond. Cette fois, pas de roublardise coupable ou de manipulation stérile. Noé est d'une sincérité indéniable, croit en son histoire et au pouvoir dévastateur de l'amour. On aimerait y adhérer mais le réalisateur ne semble pas véritablement s'intéresser à ses protagonistes (assez antipathiques) mais plutôt à lui-même. Il prénomme le fils du héros Gaspar, intervient dans le rôle d'un odieux galeriste et se permet même de placer ici et là des références à ses propres films (le Love Hotel d'Enter the Void que l'on distingue en arrière plan). Surtout, il ne peut s'empêcher d'en rajouter avec des dialogues au bord du ridicule ou de l'insignifiance, c'est selon, dont cette réplique éclairée : "C'est quoi le sens de la vie ? Aimer". 

Le réalisateur pêche à nouveau par une sorte de trop plein (le film dure 2h15) et laisse toujours planer le doute sur la pertinence ou l'indigence de son propos. Cette histoire d'amour sans filtre, aux contours mortifères, ne nous procure pas le grand frisson escompté. Si Gaspar Noé se montre comme un grand romantique, nous n'aurons fait qu'effleurer le vertige de cette romance.

Antoine Jullien

* Suite à une décision du tribunal administratif de Paris, le film est finalement interdit aux -18 ans

France - 2h14
Réalisation et Scénario : Gaspar Noé
Avec : Karl Glusman (Murphy), Aomi Muyok (Electra), Klara Kristin (Omi). 


Disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Video.  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire