mercredi 19 mars 2014

Her


On n'imaginait pas qu'un cinéaste serait encore capable de renouveler le genre si balisé de la love story. Spike Jonze vient d'accomplir ce petit miracle, sous nos yeux ébahis. Le célèbre clippeur de Daft Punk et Arcade Fire (qui signe la BO de Her) et le réalisateur remarqué de Dans la peau de John Malkovich et Adaptation nous transporte dans un monde rétro-futuriste, une réalité parallèle aux accents très contemporains afin de nous conter la vie de Theodore (Joaquin Phoenix) qui ne se remet pas de sa rupture avec Catherine. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultra-moderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur et fait ainsi la connaissance de Samantha, une voix artificielle dont il va peu à peu tomber amoureux. 

Si les premiers films de Spike Jonze étaient écrits par Charlie Kaufman, le cinéaste s'est pour la première fois attelé seul à l'écriture, ce qui lui a valu de remporter un Oscar mérité du scénario original. Sur un postulat de science-fiction, le cinéaste s'interroge sur le fondement de nos relations en posant la question de la normalité. Peut-on tomber amoureux d'une machine, de plus si elle possède le timbre langoureux de Scarlett Johansson ? Avoir confié la voix de Samantha à la comédienne de Lost in Translation est une idée lumineuse car elle permet d'approfondir cette relation saugrenue et lui donner corps et âme. Dans l'une des séquences les plus fascinantes du film, Samantha demande à une femme de jouer son rôle face au regard incrédule de Theodore. Une séquence que l'on pourrait mettre en perspective avec cette réplique lancée par Amy Adams à Joaquin Phoenix : "L'amour est une démence". 

Joaquin Phoenix 

Cette folie douce qui conduit un homme à s'éprendre d'un organisme virtuel contamine tout le film et lui confère néanmoins un parfum de tristesse. Les superbes flashbacks qui nous ramènent dans les moments vécus par Theodore avec Catherine participent de cette mélancolie sourde où, à travers ces images solaires rassurantes, se cache des tréfonds de solitude. "Le passé est une histoire qu'on se raconte" dit Catherine, et ces clichés d'un bonheur évanescent semblent tout à coup factices, comme sortis de souvenirs qui ont voulu fuir la réalité des choses.


Le plus grand mérite de Spike Jonze est de ne pas avoir cédé au cynisme ambiant, filmant le plus sincèrement possible cette relation hors norme, tout en apportant ça et là quelques touches de poésie, comme le métier de Theodore qui consiste à rédiger des lettres d'amour. La bizarrerie du film est renforcée par une démarche plastique affirmée : buildings qui semblent écraser les personnages, décors aseptisés avec ces immenses baies vitrées, costumes anachroniques (Theodore porte des pantalons comme ceux des années 50). Ce décalage discret mais perceptible évoque un futur qui semble déjà être le nôtre, où les individus deviennent des assistés informatiques alors qu'ils ne veulent plus ou ne peuvent plus mener une véritable relation humaine. 

L'humanité se cacherait-t-elle alors dans la voix de Samantha ? Spike Jonze pousse loin ce concept quand on comprend que la machine tombe elle aussi amoureuse de Theodore avant que la vérité ne soit plus cruelle. L'impression de contrôle ressentie par Theodore s'estompe et l'homme devient peu à peu désarmé. Pour incarner à l'écran toute cette palette de jeu, Spike Jonze a misé sa confiance sur Joaquin Phoenix. De tous les plans, la plupart du temps seul parlant à un ordinateur, le comédien remplit tous les pores de l'image avec une présence stupéfiante. Il interprète pour la première fois un personnage aux bords de la banalité qui va pourtant s'engager dans une aventure unique. En signant son film le plus personnel, Spike Jonze nous marque profondément, achevant son récit sur une belle note d'espoir. Well done.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h06
Réalisation et Scénario : Spike Jonze
Avec : Joaquin Phoenix (Theodore), Amy Adams (Amy), Rooney Mara (Catherine) et la voix de Scarlett Johansson (Samantha).



Le film est disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Vidéo.

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