mercredi 19 février 2014

Only lovers left alive

 
Ils sont beaux, lettrés, raffinés, sceptiques sur la condition humaine et se prénomment Adam et Eve : ce sont bien les vampires de Jim Jarmusch. Le cinéaste rock et farouchement indépendant a voulu s'offrir une cure de jouvence en filmant ces créatures, des recoins sordides de Detroit au port de Tanger. Une escapade mondialisée qui montre que Jarmusch est devenu un voyageur en quête de nouvelles expériences cinématographiques. Après avoir remodelé le western dans l'envoûtant Dead Man et le polar dans l'admirable Ghost Dog, le film de vampires est un nouveau genre que le cinéaste se devait d'explorer. Mais le refus des modes cher au réalisateur n'a plus la puissance d'antan.

Certes, Jarmush garde intact sa manière singulière de rendre une atmosphère palpable. Ainsi, la photo nocturne qui baigne le film sert à merveille les questions existentielles de ses personnages. Son utilisation de l'espace permet également des séquences doucement absurdes, comme cet échange entre Adam venu chercher une poche de sang et son médecin complice de ce moment "interdit". L'incongruité de l'instant plaît au cinéaste qui aime disséminer ça et là quelques références insolites, Adam, en lunettes noires, portant une blouse au nom du docteur Watson. Ces références, Jarmusch les étalent en abondance, de ses écrivains de prédilection à ses musiciens de chevet. La bande originale est une fois encore séduisante, un subtil mélange de rock underground et de musique acoustique.

 Tilda Swinton et Tom Hiddleston

Le cinéaste a voulu aller à l'encontre de l'image classique renvoyée par le film de vampires. Il décide alors de le traiter avec nonchalance, non sans humour ni clins d’œil appuyés. Ainsi, John Hurt joue un vampire qui n'est autre que Christopher Marlowe, célèbre poète de l'ère élisabéthaine qui aurait confié à Schubert une de ses compositions qu'il se serait approprié. Car, tradition oblige, tous ses personnages se nourrissent du sang des mortels depuis des siècles. La beauté diaphane de Tilda Swinton et le romantisme sombre dégagé par Tom Hiddelston renforcent le caractère intemporel du film tout comme ces innombrables instruments de musique qui meublent la demeure d'Adam et qui disent tout de la passion fétichiste du cinéaste. 

Mais cette accumulation d'allusions, d'Hollywood comparé à un peuple de zombies en passant par l'idée que le succès corrompe forcément le talent, finit par agacer. La posture de rebelle que le cinéaste aime entretenir finit par se retourner contre lui car elle n'est plus qu'une posture, justement. Le cinéaste semble incapable de se renouveler et convoque ainsi les mêmes motifs incessants. Et son histoire, qui se met sérieusement à battre de l'aile au milieu du gué, finit par distiller un ennui poli mais tenace. 

On peut se réjouir que Jarmusch veuille à tour prix conserver son identité mais tout cela ressemble à du recyclage. A l'image de ses personnages rigolant devant un clip kitschissime sur des vampires, Jarmusch passe complètement à côté du caractère éminemment vénéneux et passionnel du genre pour ne délivrer qu'un ersatz un peu trop sûr de son fait, se complaisant dans le rejet de toute forme de modernité. Un peu facile, non ?

Antoine Jullien

Grande-Bretagne/Allemagne/France/Chypre/Etats-Unis - 2h03
Réalisation et Scénario : Jim Jarmusch 
Avec : Tilda Swinton (Eve), Tom Hiddleston (Adam), Mia Wasikowska (Ava), John Hurt (Christopher Marlowe). 



Film disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution.

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