Lars Von Trier est un grand malin. A coup de photos sulfureuses et d'affiches orgasmiques, il a savamment entretenu le suspense sur ce qui devait être une exploration de la sexualité d'une femme de 0 à 50 ans, impliquant des scènes pornographiques non simulées. Et puis patatras ! Enfermé dans sa salle de montage durant de long mois, le démiurge danois a concocté une version de 5h30 alors que sa monteuse devait ramener le film à une durée plus raisonnable de 4h, divisé en deux parties, expurgeant les scènes porno. C'est la raison pour laquelle le spectateur est averti par un carton stipulant que nous allons voir une version censurée * acceptée par Lars Von Trier à laquelle il n'a pas contribué. Un bien curieux micmac qui pourrait trouver sa conclusion lors du festival de Berlin où la fameuse version longue sera projetée. En attendant, nous voilà avec ces deux opus qu'il faut bien tenter d'analyser.
Comme il l'a déjà fait par le passé, Lars Von Trier découpe son récit en dix chapitres qui commence lorsque Joe (Charlotte Gainsbourg) est retrouvée inconsciente par Seligman (Stellan Skarsgard) qui la recueille chez lui. Celle-ci va alors lui raconter par le menu les différentes étapes de sa nymphomanie qui ressemble à un long chemin de croix.
Charlotte Gainsbourg et Stellan Skarsgard
Malgré la déstructuration du scénario qui fait régulièrement des aller-retour entre passé et présent, Lars Von Trier n'innove pas formellemement. Sa lumière froide et sa caméra à l'épaule ne servent pas de dispositif comme pouvait l'être le prologue de Melancholia ou les décors dessinés à la craie de Dogville même si le cinéaste réalise ici ou là une séquence en noir et blanc ou utilise un autre format d'image. Il finit surtout par se répéter tant son intrigue suit en permanence un principe identique : Joe confie ses "exploits" à Seligman qu'il commente à coup de digressions plus ou moins fumeuses (ah la pêche à la mouche!), convoquant la religion, la mythologie et l'histoire romaine. Bien que Joe dise elle-même que ces digressions ne sont pas toujours inspirées, elle finissent par lasser tant elle alourdissent considérablement le propos du cinéaste.
Et quel est-il ? Le volume 1 nous avait relativement surpris car le réalisateur mettait de côté son penchant moralisateur afin d'évoquer, sous une apparente légèreté, la perpétuelle recherche du plaisir d'une jeune femme (pétulante Stacy Martin). Cette première partie se permettait même quelques comparaisons étonnantes comme cette cantate de Bach symbolisant la jouissance sexuelle ou cette scène de vaudeville entraînant Uma Thurman au bord de l'hystérie. Il s'agissait en réalité d'un leurre pour mieux nous faire entrer dans le calvaire psychique de Joe. Dans le volume 2, Joe ne ressent plus rien sexuellement et va tenter des expériences sadomasochistes, causant la séparation définitive d'avec son fils et son mari dans une scène plagiant grossièrement l'ouverture d'Antichrist.
Manifestement en manque d'inspiration, Lars Von Trier retombe alors dans ses travers misogynes de plus en plus détestables. Si Seligman essaye de faire comprendre à Joe que sa culpabilité est liée à sa condition de femme, devenue ainsi victime de la société des hommes, Lars Von Trier s'acharne à entraîner son personnage dans les abîmes de l'obscénité, mettant au passage la nymphomanie et la pédophilie sur le même plan. Rattrapé par ses démons et la confusion de sa pensée, le cinéaste termine son film de la pire des manières. Consterné, le spectateur se demande alors s'il s'agit bien de la fin voulue par le cinéaste. Nymphomaniac ou l'apologie de la triste chair.
Antoine Jullien
Danemark/Allemagne/France/Belgique - Vol.1 (1h58) Vol.2 (2h04)
Réalisation et Scénario : Lars Von Trier
Avec : Charlotte Gainsbourg (Joe), Stellan Skarsgard (Seligman), Stacy Martin (Joe adolescente), Shia LaBeouf (Jérôme)
* La version non censurée du film, interdite aux moins de 18 ans, est disponible en DVD et Blu-Ray chez Potemkine.
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