mercredi 11 janvier 2012

J. Edgar


Oui, un grand cinéaste peut décevoir. La politique des auteurs qui consiste à consacrer systématiquement un réalisateur ne tient plus lorsque celui-ci n'est pas à la hauteur des attentes. Et la déception est immense à voir Clint Eastwood échouer à faire de J. Edgar une oeuvre majeure. Tout était pourtant réuni : une figure éminemment complexe, un acteur au diapason, un récit propice à nourrir la réflexion du cinéaste sur l'histoire de son pays... Clint Eastwood éprouverait-il une forme de lassitude ? Un élan artistique en berne ? 

J. Edgar Hoover s'est imposé comme l'homme le plus puissant des Etats-Unis. Directeur du FBI pendant près d'un demi-siècle, il était prêt à tout pour protéger son pays. Couvé par une mère omniprésente, l'homme s'est employé à défendre sa conception bien particulière de la justice mais s'est aussi laissé contaminer par la part d'ombre du pouvoir. 

Leonardo DiCaprio et Armie Hammer 

Le récit entrecroise deux époques : celle des années 20 où l'on voit Hoover créer le FBI et celle de la fin de sa vie où il fait rédiger ses mémoires à des sbires disciplinés. Une option narrative parcellaire qui ne fait que survoler le personnage. Eastwood centrant Hoover sur deux périodes espacées qui sont censées se répondre, il utilise des va et viens incessants qui font perdre au film son intensité et sa fluidité. Desservi par un scénario qui multiplie à outrance les grandes phrases sentencieuses d'Hoover, le cinéaste ne brille pas non plus par ses transitions temporelles qui font passer platement Hoover d'un ascenseur à un autre ou du même balcon de son bureau. Un manque d'inspiration qui va malheureusement se confirmer par la suite. 

Si le cinéaste montre bien l'obsession anticommuniste de Hoover en relatant les attentats méconnus de Washington de 1919, il occulte une part prépondérante du personnage, ses liens tangibles avec la mafia et son chantage permanent envers de nombreux politiciens étant soit évacués soit à peine esquissés. En revanche, le cinéaste insiste abondamment sur les méthodes nouvelles d'investigation inventées par Hoover en racontant longuement l'assassinat du fils de Charles Lindbergh qui avait beaucoup ému l'opinion américaine et dont l'arrestation du meurtrier lui avait permis d'assoir son prestige et sa puissance. On peut toujours saluer un cinéaste qui aime prendre le contre-pied des attentes mais la trop grande bienveillance qu'il porte au personnage annihile ses nombreuses zones d'ombre. Seule sa propension à se glorifier de sa personne auprès du public en exagérant les actes héroïques dont il se disait être l'auteur est justement traitée et l'on voit bien le souci qu'avait Hoover à protéger son image. 


C'est finalement dans l'intime que le cinéaste se sent le plus à son aise. Si Sur la route de Madison racontait une histoire d'amour improbable sur le papier, J. Edgar évoque également une étrange union, celle d'Hoover avec son numéro deux, Clyde Toldson. De cette relation amoureuse qui ne dit pas son nom, Eastwood en tire de beaux moments, d'abord lors d'un affrontement brutal entre les deux hommes dans une chambre d'hôtel puis lorsque, vieillissants, ils prennent leur petit-déjeuner. Le passage du temps est un thème cher à Eastwood auquel il apporte une cruelle sérénité. 

Mais cela ne doit pas faire oublier les nombreuses impasses commises par le cinéaste et son absence de regard sur la figure politique et historique d'Hoover. Leonardo DiCaprio n'est pas en cause et campe brillamment un homme secret aux relents paranoïaques, presque touchant dans sa volonté de préserver le pouvoir à tout prix. Mais à l'image des maquillages grossiers de ses partenaires, Armie Hammer et Naomi Watts, Clint Eastwood semble curieusement détaché de ce qu'il filme. Ayant confessé ne pas connaître grand chose à Hoover avant de lire le scénario de Dustin Lance Black (l'auteur oscarisé d'Harvey Milk), le cinéaste a fait trop confiance à son classicisme légendaire qui, cette fois, paraît dévitalisé. Et la fin lourdement mélodramatique n'y change rien. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Warner Home Video.

Retrouvez les critiques d'INVICTUS et AU-DELA.

2 commentaires:

  1. Excellente critique ! je pense que l'on est presque d'accord sur tout. Juste une remarque, je pense qu'Eastwood fait référence aux attentats de juin 19 et aux galleanistes qui posèrent 8 bombes dans 8 villes différentes.

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  2. Very good critic on this movie and so true.

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