"Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle d'un samouraï, si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle... peut être." Cette citation tirée du Bushido japonais est mise en exergue dès l'ouverture du Samouraï et contaminera le reste du film. Le diamant noir de Jean-Pierre Melville sort aujourd'hui dans une belle édition Blu-ray et DVD* que l'on aurait souhaitée un peu plus gourmande en suppléments.
Le principal bonus de cette édition, intitulé "Melville-Delon : de l'honneur à la nuit", fait intervenir les neveux du cinéaste, Laurent Grousset et Rémy Grumbach, le journaliste Rui Nogueira, auteur du livre "Le Cinéma selon Melville"** et le réalisateur Volkor Schlondorff qui fut l'assistant de Melville. Ils reviennent longuement sur l'amitié profonde entre Jean-Pierre Melville et Alain Delon et le lien particulier qui les unissait. Lorsque le réalisateur lut le scénario du Samouraï à la star, celle-ci, séduite par l'absence de dialogues au bout des dix premières minutes, accepta immédiatement. Le début d'une riche collaboration qui accouchera du Cercle Rouge en 1970 et Un Flic deux ans plus tard.
Les intervenants de ce documentaire évoquent également l'obsession du détail chère au cinéaste au Stetson et en particulier le maniement du chapeau que porte Delon et qui pouvait donner lieu à des dizaines de prises. Son rapport trouble avec le milieu des gangsters est brièvement traité comme sa vision unique d'un Paris nocturne et mystérieux. Plusieurs citations de Melville émaillent le documentaire dont celle-ci qui résume bien l'état d'esprit du cinéaste : " Un professionnel, plus il vieillit, plus il devient classique, plus il a envie de respecter la forme. S'il ne le fait pas, c'est que ce n'est pas un professionnel".
On regrettera l'absence d'Alain Delon dont on peut tout de même voir une interview réalisée par Pierre Tchernia lors de la sortie du film, en 1967. Irrésistible mais frisant l'arrogance, l'acteur semble déjà conscient de l'impact de Melville sur sa filmographie, déclarant que Le Samouraï est "un film d'auteur, une date importante dans ma carrière." On peut aussi découvrir un reportage pris sur le tournage du film qui nous montre un Melville dissertant sur son oeuvre, opposant la mode de la vraisemblance (une pique à la Nouvelle Vague ?) au "spectacle poétique" de ses films.
Un livret de 32 pages rédigé par le critique Jean-Baptiste Thoret revenant sur la genèse du film, ses thèmes et son influence sur le cinéma contemporain ainsi que la bande-annonce d'époque (avec une voix-off à la limite du ridicule !) complètent cette édition.
Revoir Le Samouraï montre à quel point Jean-Pierre Melville a su réinventer le cinéma policier français. Son aspect très méthodique, son absence totale de psychologie, son atmosphère bleu acier et son humour à froid font du Samouraï un film rare qui garde intact son pouvoir de fascination plus de quarante ans après. Le regard inoubliable d'Alain Delon, mythifié à jamais pour son interprétation de Jef Costello, a beaucoup contribué au culte que lui voue aujourd'hui des générations de cinéastes, de Scorsese à Tarantino en passant par John Woo. Melville disait de Costello "qu'il domine la mort car il n'est pas encore subjugué par elle". Sur la magnifique partition de François De Roubaix, le cinéaste filme l'inévitable destinée mortifère de son personnage, hantant désormais le panthéon des plus mémorables anti-héros de l'histoire du cinéma.
Antoine Jullien
* Le Samouraï disponible en Blu-ray et DVD chez Pathé Distribution
** Le Cinéma selon Melville édité aux Cahiers du Cinéma
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