mercredi 6 avril 2011

Pina



"Non, ce n'est pas un ouragan qui venait de balayer la scène. Il y a avait là... des gens qui se mouvaient différemment de ce à quoi j'étais habitué, et m'émouvaient autrement que tout ce qui m'avait ému auparavant." Wim Wenders raconte le choc qu'il a vécu lorsqu'il a vu pour la première fois un spectacle de Pina Bausch. Dès cet instant, il a senti l'envie irrépressible de lui consacrer un film. La collaboration entre le cinéaste des Ailes du Désir et la chorégraphe allemande va durer pendant des années sans que le réalisateur ne parvienne à trouver la forme la plus juste qui retranscrirait visuellement la danse-théâtre de Pina. Jusqu'au jour où il découvre, au Festival de Cannes, le concert de U2 en 3D numérique. Ebloui par les possibilités de ce nouvel outil, il propose alors à Pina Bausch un nouveau langage esthétique capable de rendre à l'écran la singularité de l'oeuvre de la chorégraphe. Celle-ci accepte et travaille avec le cinéaste à la préparation d'un documentaire. Jusqu'à sa mort brutale le 30 juin 2009. Wenders décide alors de tout arrêter. Mais encouragé par l'entourage de la chorégraphe et les danseurs de l'Ensemble du Tanztheater Wuppertal, il devient déterminé à mener le projet à bien. Pour Pina. 

La 3D est depuis plusieurs années l'apanage des grosses productions américaines. Wim Wenders est le premier cinéaste à l'expérimenter sur un film documentaire. Comme il le dit lui-même : "C'est seulement en intégrant la dimension spatiale que je pourrais me sentir capable, sans outrecuidance, de transposer à l'écran la danse-théâtre de Pina dans une forme appropriée". Il a filmé quatre spectacles de la chorégraphe dont plusieurs en public : Le sacre du printemps, Café Müller et Vollmond. On y voit également les membres de sa compagnie, l'ensemble du Tanztheater, danser les souvenirs personnels qu'ils gardent du regard rigoureux, critique et bienveillant de leur grande inspiratrice, dans différents endroits de Wuppertal et des environs, dans la nature de Bergisches Land, dans des installations industrielles, à des croisements de rues et dans le monorail suspendu de Wuppertal. Avec un résultat saisissant. 

Le réalisateur Wim Wenders sur le tournage de Pina 

Le choix de Wim Wenders, audacieux hier, semble aujourd'hui une évidence. Filmer la danse est une gageure que la 3D parvient à transcender, principalement lors de la captation du Sacre du Printemps, le cinéaste l'ayant tourné en direct et en intégralité. La scène est entièrement recouverte de tourbe jusqu'à la hauteur des chevilles : les mouvements des danseurs laissent donc des traces. Et pour la première fois, grâce au relief, le spectateur a vraiment l'impression de faire corps avec eux, d'épouser leurs gestes et de participer ainsi à la recherche artistique de Pina Bausch. Après ce premier passage éblouissant, la 3D se fera plus discrète et s'atténuera au fur et mesure des séquences. L'ambition visuelle de Wenders n'est donc qu'en partie atteinte car le cinéaste s'est manifestement confronter aux limites actuelles du procédé. 

Mais la danse de Pina Bausch emporte tout sur son passage. Wim Wenders a su la filmer sans que sa mise en scène ne vienne l'étouffer ou la parasiter. Le fait d'avoir aérer son film en transposant les chorégraphies des danseurs hors les murs du théâtre donnent des instants magiques, en apesanteur, où la danse de Pina Bausch se révèle à nous de manière nouvelle. Bien qu'inégaux, certains passages resteront dans les mémoires, dont cette chorégraphie à l'extérieur d'une usine ou celle dans le monorail de Wuppertal qui comporte des accents à la limite du fantastique. 


En réalisant Pina, Wim Wenders lui a rendu le plus beau des hommages. Les néophytes de la chorégraphe comme les fins connaisseurs de son travail devraient se retrouver sur un point : la manière dont le cinéaste a su rendre palpable la recherche perpétuelle de la chorégraphe qui disait : "Lorsque l'on cherche, on ne peut se réclamer de rien : aucune tradition, aucune routine. Il n'y a rien à quoi on puisse se raccrocher. On est tout seul face à la vie et aux expériences que l'on fait, et c'est tout seul que l'on doit essayer de rendre visible ce que l'on sait depuis toujours, ou du moins d'en donner une vague idée. Il s'agit de trouver quelque chose qui se passe de toute question" *. Quoi de plus beau que ce langage des corps qui s'attirent et se repoussent dans un même élan, où le rapport du créateur avec sa créature se nourrit sans cesse l'un de l'autre, dégageant une puissance émotionnelle incomparable. Si quelques larmes coulent de vos lunettes, c'est qu'il s'est passé au fond de vous quelque chose de rare. "Dansez, dansez... sinon nous sommes perdus". Tout l'art de Pina Bausch. 

Antoine Jullien

* Extrait de The 2007 Kyoto Prize Workshop in Arts and Philosophy par Pina Bausch.


 
DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution

1 commentaire:

  1. merci pour ce beau commentaire. On en apprend un peu plus et j'en ai d'autant plus envie d'aller voir le film.

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