Trois hommes dans le désert sont observés par un hélicoptère qui sillonne la zone. Ils semblent tous à la recherche d'un ennemi invisible. Soudain, la caméra devient subjective et filme un individu que l'on ne peut pas identifier. Profitant d'un instant de repos, les trois hommes s'arrêtent un moment. Puis survient, du fin fond d'un rocher, une roquette qui déchiquette les trois corps. Le tueur est interpellé. Jusqu'à son évasion...
La première séquence d'Essential Killing est stupéfiante. Par un audacieux changement de point de vue, Jerzy Skolimowski brouille les repères du spectateur qui assiste, intrigué, à cette étrange mise en scène. Le cinéaste continue d'étonner dès lors qu'il montre enfin le visage du tueur : un taliban incarné par l'acteur américain Vincent Gallo. Donner le rôle de l'ennemi juré des USA à un acteur yankee ne manque pas de piquant. A cet instant, on pense suivre Skolimowski sur la route d'une dénonciation de la politique américaine en Afghanistan et des traitements inhumains infligés aux prisonniers. Mais un brutal accident vient tout remettre en perpective. Désormais traqué, Vincent Gallo devient une proie avant de se muer en chasseur dans les forêts enneigées d'un pays fantôme.
Lors de la dernière Mostra de Venise, le comédien a reçu un prix d'interprétation mérité pour un rôle intégralement muet. La volonté de Skolimowski est tenue jusqu'au bout, filmer, sans aucune parole, un être dans son état le plus primitif. La présence animale du comédien suffit à l'intrigue minimaliste que le cinéaste ne cherche nullement à charger d'éléments extérieurs, à l'exception notable de flash-backs et de rêves sur le passé religieux du personnage qui ont le malheur d'alourdir un film fascinant mais moins radical qu'espéré.
Le cinéaste polonais n'est pas le premier à traiter de l'instinct de survie d'un homme réduit à sa bestialité la plus sauvage. Mais le réalisateur a compris l'importance du décor qui peut contribuer grandement aux péripéties de l'action. Essential Killing en est nourri et, mise à part quelques disgressions superflues, ne relâche pas l'attention du spectateur grâce aux éléments naturels qui malmènent le personnage. Celui-ci perd le peu d'identité qui lui reste et se transforme en bête n'hésitant pas, dans la séquence la plus choquante, à téter le sein d'une femme pour ne pas mourir de faim.
La dernière étape de son parcours se situe dans une maison habitée par une femme également mutique (Emmanuelle Seigner). Cet effet de style qui était la principale qualité du long métrage devient soudain sa limite. Skolimowski ne parvient pas à élargir son sujet et termine son film sur une image hautement symbolique : un cheval baigné de sang trottant dans la neige en l'absence de son cavalier. Beau mais frustrant.
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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