Elia Suleiman aura mis sept ans avant de réaliser son troisième long métrage. Son précédent, "Intervention Divine", avait marqué par son regard très particulier sur le conflit israélo-palestien. Cette fois-ci, son projet est plus ambitieux : raconter ce conflit à travers l'histoire de sa famille, de 1948 à nos jours. Il puise dans les souvenirs, véridiques ou fantasmés, d'un père et d'une mère vivant à Nazareth, en territoire occupé, et de leur fils, Elia.
Le film se divise en plusieurs parties, marquant chacune une époque (1948, 1970, 1980, aujourd'hui). Dès les premières minutes, on est stupéfait par la mise en scène : très découpée, presque comme une bande dessinée, elle retranscrit parfaitement ce qu'un petit garçon peut imaginer d'un père combattant contre Israël : on n'est pas dans un réalisme à tout crin mais plutôt dans une distance poétique.
Les grands cinéastes sont ceux qui pourraient raconter une histoire sans le moindre dialogue : c'est presque le cas ici, les paroles sont tues, les images valent tout. Un vieil homme, désespéré, tente chaque matin de s'asperger d'essence, sans succès. Le canon d'un tank israélien suit un homme en train de téléphoner. Toutes ces images marquent durablement la rétine mais celle qui pourrait résumer le film, c'est lorsque une troupe israélienne se retrouve devant une boîte de nuit où des jeunes palestiniens, insouciants, dansent à un rythme endiablé. Alors que les militaires ordonnent le couvre-feu , ils se mettent à bouger au rythme de la musique. Elia Suleiman donne à l'Histoire une magnifique absurdité : deux peuples qui voudraient se parler mais qui n'y arrivent pas. Sur un sujet qui a prêté maintes fois à la caricature ou au simplisme, le cinéaste réalise un grand film politique qui, même s'il reste engagé, n''est jamais manichéen. Cela tient presque du miracle, que l'univers si personnel de Suleiman puisse nous faire comprendre avec tant de justesse et de sensibilité la complexité de ce conflit.
Saleh Bakri et Yasmine Haj
Au-delà de l'aspect politique, il aborde la mort, sans pathos. Et le film devient alors poignant : les êtres disparaissent, les générations se suivent, les fantômes ressurgissent. En outre le cinéaste a su choisir de grands interprètes dont Saled Bakri (déja vu dans La Visite de la Fanfare) qui, dans le rôle du père, apporte une grande dignité à son personnage.
Reparti bredouille du Festival de Cannes (incompétence ? aveuglement ?), ce film, trop rapidement qualifié de "keatonien", est bien plus intéressant que les superlatifs un peu hâtifs qu'on lui donne. C'est avant tout un film totalement libre, au meilleur sens du terme.
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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