mercredi 18 février 2015

Réalité

 
Jusqu'à alors, Quentin Dupieux (Rubber, Wrong) n'avait pas donné pleinement satisfaction. On louait certes sa liberté de ton, son audace et sa bizarrerie mais une certaine pose arty un poil agaçante nous laissait sur notre faim. Avec Réalité, le réalisateur émigré aux Etats-Unis signe son film le plus accompli tout en étant dans la continuité des précédents. Murissant ce projet pendant plusieurs années dans l'attente de la disponibilité d'Alain Chabat, Quentin Dupieux a mis ses pas dans ceux de ses glorieux aînés en poursuivant sa petite musique à lui qui ne s'est jamais aussi bien accordée. 

Jason Tantra (Alain Chabat), un caméraman qui travaille pour un show d'une télévision américaine locale, rêve de réaliser son premier long métrage, un film d'horreur. Le producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert) accepte de le financer à condition qu'il lui trouve le meilleur gémissement de l'histoire du cinéma. Devant cette tâche ardue, Jason va redoubler d'effort pour le satisfaire au grand dam de sa femme psychologue (Elodie Bouchez, pas très bien servie), indifférente aux velléités artistiques de son compagnon. 

Alain Chabat

Notre enthousiasme vient d'abord de la présence d'Alain Chabat au générique. L'acteur dégage une humanité qui manquait aux autres films de Dupieux et grâce au comédien le public se retrouve pour la première fois en empathie avec le personnage principal du réalisateur. Étrangement, la loufoquerie du film ne vient pas de lui mais plutôt des seconds rôles, à commencer par l'excellent Jonathan Lambert qui campe un improbable magnat californien semblant trouver dans le souffrance humaine une jouissance bien réelle. A le voir tirer sur des surfeurs ou tenter vainement d'enlever les tâches de son tapis en peau de bête, il incarne une vision à la fois grotesque et inquiétante des moguls hollywoodiens. 

 Jonathan Lambert

Reality est en fait le nom d'une petite fille qui est le personnage central du film dans le film dont le producteur n'est autre que Bob Marshall. Car Quentin Dupieux entremêle rêve, fiction et réalité, emboîte l'histoire d'Alain Chabat à celle de l'enfant à tel point que tout finit par se confondre. La mise en abime devient vertigineuse, rappelant certaines œuvres de David Lynch, désarçonnant le spectateur pour son plus grand plaisir. Mais le cinéaste ne tombe pas dans une gratuite absurdité car il construit son récit avec une rigueur scénaristique qui force l'admiration. Malgré les nombreux accidents qui émaillent sa narration dont cette mystérieuse VHS retrouvée dans le ventre d'un sanglier, on sent que le réalisateur la maîtrise à chaque instant.

Le film est aussi parsemé de références souvent jubilatoires à tout un pan du cinéma bis des années 80 que l'on distingue dans les images de Waves, ce film d'horreur que le personnage de Chabat veut à tout prix mettre en scène et dans lequel des postes de télévision se mettent subitement à tuer les gens. Lorsque Chabat assiste lui-même à une projection de son film dans une salle de cinéma alors qu'il est supposé ne pas l'avoir encore réalisé, le cauchemar cinématographique prend une ampleur extravagante. La précision des cadrages (Dupieux est lui-même chef opérateur) et la photographie faussement doucereuse qui enveloppe les protagonistes d'un voile dont ils ne peuvent plus se défaire donnent au long métrage un caractère irréel mais étonnamment plausible. Soudain, une autre dimension envahit les pores du film où les obsessions du cinéaste prennent enfin sens. Comme si l'inégale filmographie de Quentin Dupieux attendait depuis toujours ce cinquième opus, réjouissant, sincère et angoissé.

Antoine Jullien

France / Belgique - 1h27
Réalisation et Scénario : Quentin Dupieux
Avec : Alain Chabat (Jason Tantra), Jonathan Lambert (Bob Marshall), Elodie Bouchez (Alice), Kyla Kennedy (Reality). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Diaphana Vidéo. 

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