mardi 10 janvier 2012

Le combat contre la précarité

UNE VIE MEILLEURE / LOUISE WIMMER

Deux films cette semaine nous parlent de la précarité. De manière différente, Cédric Kahn et Cyril Mennegun nous confrontent à cette délicate actualité.


Cédric Kahn aime varier les univers. Après les atermoiements amoureux des Regrets et la déambulation alcoolique de Feux Rouges, il s'intéresse à la vie de jeunes gens, Yann et Nadia, qui veulent ouvrir un restaurant en région parisienne. Mais suite à des problèmes de sécurité non conforme, le restaurant ne peut pas ouvrir et le couple se retrouve plongé dans une problématique financière qui semble inexorable. Résignée, Nadia part travailler au Canada, laissant son fils, Sliman, seul avec Yann. Après des débuts chaotiques, Yann va apprendre à vivre avec le jeune garçon pour se diriger, peut-être, vers une vie meilleure.

Le titre est un astucieux pied de nez à l'histoire que nous raconte Cédric Kahn. Cette vie meilleure, Yann y croit au début mais va voir ses illusions mourir dans le tombeau de la précarité. Avec un acharnement presque inconscient, le jeune homme va se battre contre l'adversité et la société qui ne fait pas grand chose pour l'aider. Mais Cédric Kahn ne tombe jamais dans la victimisation, il a eu l'intelligence de faire du personnage de Yann un être en partie responsable de sa propre débâcle qui essaye d'entraîner ses proches avec lui. Même si elle traduit une sorte d'abandon, la réaction de Nadia semble d'abord menée par un instinct de survie. L'amour est alors sacrifié sur l'autel de la réalité économique d'aujourd'hui que le réalisateur ne cesse de documenter. D'une paire de chaussures à 100 euros que vole Sliman à la crêpe Nutella à 2,50 euros que Nadia ne peut pas payer, les détails du quotidien font mouche et interpellent directement le spectateur. De même que cette manière très juste de déjouer les clichés sur les protagonistes qui gravitent autour du couple. Ni l'assistante sociale qui secoue Bruno suite à ses inconséquences ni le "voleur de sommeil", salaud à la gueule d'ange (Abraham Belaga, une révélation), ne sont des coupables ou des empêcheurs de tourner en rond, seulement les pions d'un système.

A la fois thriller social nourri d'une réelle tension dramatique et mélodrame sur l'apprentissage de soi-même, le film bénéficie de surprenantes ruptures de ton. Guillaume Canet, qui trouve sans conteste le meilleur rôle de son inégale carrière, a cette force de conviction et cette fragilité qui habitent son personnage. Sa relation avec Sliman, conflictuelle, deviendra apaisée lors d'une étonnante et drolatique séquence de pêche. A partir de cet instant, les deux êtres n'auront qu'un objectif : retrouver Nadia, le seul personnage un peu sacrifié de l'histoire. Cédric Kahn décide de ne pas sombrer dans la désespérance et veut encore y croire. Nous aussi.



DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution.



Un acteur est parfois tellement la chair d'un film que son personnage et lui ne font qu'un surtout lorsque son visage nous était inconnu. Après Louise Wimmer, inutile de dire que le nom de Corinne Masiero est sérieusement ancré dans notre mémoire. Sidérante révélation, elle électrise de sa présence rageuse un film beau et digne. 

Nina Simone accompagne Louise dès les premières minutes. Un choix musical judicieux car la tonalité de la chanson, Sinnerman, renvoie à sa détresse. Sans rien révéler de la réalité dans laquelle elle vit, dormant dans sa voiture et prenant de l'essence dans les réservoirs des camions, elle mène son combat en silence. Un silence obstiné qui révèle pourtant une personnalité forte, peu aimable. Comment l'être lorsqu'on ne veut pas vous accorder un logement que vous demandez depuis des mois ? Que le système est résolu à ne rien faire pour vous ?

La caméra de Cyril Mennegun dont c'est le premier long métrage colle au corps de Corinne Masiero, filmant avec une pudeur discrète les épreuves qu'endure Louise, sans apitoiement ni misérabilisme. Avec une fierté qui pourrait devenir un piège, elle ne baisse pas les bras, comptant sur un entourage plutôt bienveillant. Le cinéaste a eu raison de ne pas donner d'explications sur le basculement de Louise, tombée du jour au lendemain dans la grande précarité. Une scène suffit à imaginer ce qu'elle était auparavant : dans une maison où elle fait le ménage, elle revêt une robe noire et se maquille. Son apparence change tout à coup et dégage un vrai pouvoir de séduction. Comme Cédric Kahn, Cyril Mennegun veut croire en une nouvelle chance, un nouveau départ. La séquence finale, filmée presque comme dans un conte, illumine définitivement ce magnifique portrait de femme.

Antoine Jullien 


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