mardi 5 octobre 2010

Amore

Milan sous la neige. Une grande demeure de la bourgeoisie italienne. Une réception est donnée en l'honneur du patriarche qui doit nommer son successeur à la tête de l'entreprise familiale. Dans quelle époque se trouve-t-on ? De nos jours. Voilà l'une des nombreuses bizarreries d'un film hors du temps, flamboyant et baroque. Le cinéma italien en plein renaissance.

Luca Guadagnino n'a pas choisi la facilité. Pour raconter le destin d'une femme prisonnière de sa condition, victime d'une prison dorée dans laquelle elle étouffe, le cinéaste use de tous les artifices cinématographiques avec une aisance presque déstabilisante. Il faut regarder de près la première séquence pour percevoir l'extrême singularité du projet. Le repas familial est filmé comme une réunion fantomatique où les êtres, statufiés par leur condition sociale, déambulent dans cette immense propriété, regards et convenances de rigueur. Le cinéma nous l'a déjà montré et cependant l'ambiance unique imprégnée par la caméra de Guadagnino place le spectateur dans un état de fascination immédiate. A la vue de ces images intemporelles, il est difficile de ne pas penser au grand cinéma italien de jadis, et à Visconti en particulier. Mais le réalisateur va constamment malmener sa tragédie opératique aux tonalités contrariées.

Sans trop dévoiler l'intrigue, la femme, russe d'origine et parlant italien (et jouée par une comédienne britannique, encore une étrangeté !) va redécouvrir les pulsations de son corps qui s'étaient endormies depuis trop longtemps. Le sujet semble rebattu mais Guadagnino joue sur les sensations physiques du personnage à travers sa mise en scène qui nous fait bien ressentir son trouble, un plat d'écrevisses se transformant soudain en un déluge de sens. De même que les échappées bucoliques sont sans cesse magnifiées par le travail de la caméra qui capte à merveille les bruits et les odeurs enivrants de la nature, témoins d'une idylle irrémédiable.

Tilda Swinton

Sur une partition au lyrisme saccadé du compositeur John Adams, le cinéaste ne recule pas devant la grandiloquence et l'outrance.  Et lorsque l'on frôle l'overdose, il décompose brutalement le visage de son actrice qui se présente à nous, nue, dépouillée de tous ses artifices. La séquence finale est d'une tension insoupçonnée et le caractère tragique de l'entreprise explose alors.

Face à tant de films sages et sans idées, voir un cinéaste tout entreprendre, au mépris des modes, est réjouissant. Mais la réussite ne serait pas totale sans l'âme et le coeur du film, Tilda Swinton. Ayant souvent trainé son allure singulière dans des oeuvres hétéroclites, l'actrice éclate de sensualité et d'intensité. D'une élégance folle, elle laisse libre cours à ses envies en incarnant une femme à la révolte tranquille qui va se révéler à elle-même. Et malgré un coup de théâtre un peu facile dans la dernière partie, elle acceptera de tout perdre. "Amore" plus que tout. Dieu que ce film fait du bien !

Antoine Jullien

1 commentaire:

  1. pour une fois je rejoins pas ton enthousiasme. le film est très beau certes, les décors et la photo et la musique mais je me suis ennuyé et presqu' endormi devant un tel vide scénaristique.
    enfin! j'ai vu pire, surtout que Tilda Swinton, sauve un peu l'honneur, bien qu'elle me rappele toujours David Bowie, dans sa période transgenre :)

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