lundi 7 septembre 2009

Jacques Audiard... prophète du cinéma français


Il faut se méfier, paraît-il, des réputations trop flatteuses : elles ne seraient pas toujours méritées. On a connu dans le passé des films "survendus" décevoir le public. C'est bien le risque qu'encoure Un Prophète, Grand Prix du jury à Cannes (alors que tout le monde lui donnait la Palme d'Or)). Une critique dithyrambique et quasi-unanime (même si de plus en plus de détracteurs commencent à sortir du bois), un réalisateur adulé et respecté, auteur de De Battre mon cœur s'est arrêté et Sur mes lèvres, soit deux des meilleurs films français de ses dix dernières années.

Et bien, pour une fois, la presse a vu juste et confirme avec éclat que Jacques Audiard est bien devenu le patron du cinéma français.

Durant 2h30 que chaque séquence justifie, le réalisateur nous conte le parcours de Malik, jeune homme de  18 ans qui va devoir purger six années en prison. Écartelé entre les différents clans, corses et arabes, il va progressivement trouver sa place dans cet univers qu'il finira par dominer.

Des Evadés au Trou en passant par Le prisonnier d'Alcatraz ou le récent Hunger, la prison a toujours fasciné les cinéastes, au point de devenir un genre à part entière. Audiard le réinvente car pour la première fois à mon connaissance, il filme, au cœur de la prison, une naissance. Malik n'est rien au début du film : sans identité, sans famille, sans amis. Il naît en prison, survit dans un premier temps, puis franchit les étapes d'un apprentissage. Rarement un cinéaste a rendu avec autant d'intensité la vie carcérale, avec ses rapports de force, ses conflits communautaires, ses luttes de pouvoir, sans céder un seul instant aux clichés.

Tahar Rahim

Jacques Audiard a voulu faire une métaphore de la société, et c'est là sa plus grande audace. Car on ne sait plus très bien quel monde est le plus dangereux : celui de la prison ou celui de l'extérieur ?  Audiard semble nous dire que la prison pourrait être une école de la vie. Le propos est d'une lucidité terrible mais il ne verse jamais dans le traité sociologique ou documentaire. C'est la fiction a l'état pur qui l'intéresse avant tout, une forme impressionnante de réalisme au service d'un personnage. Et quel personnage ! Insaisissable, malin, charmeur, Malik est loin de l'image traditionnelle du truand. Le cinéaste ne juge jamais ses protagonistes, non par facilité mais bien pour nous montrer qu'il n'y a plus d'espace pour la moralité. Le dernier plan du film le résume de façon magistrale : Malik va devenir un caïd, avec femme et enfant. Un bon père de famille mais tout aussi dangereux. C'est un fatalisme assumé, certes pas très agréable à accepter.

Les grands cinéastes ont un style immédiatement reconnaissable. Depuis Sur mes lèvres et encore plus De Battre mon cœur s'est arrêté, le style Audiard est reconnaissable entre tous. Sa manière de filmer, le travail sur les corps, l'espace, le son (admirable musique d'Alexandre Desplat), sidèrent encore. C'est un cinéma électrisant, et incarné à la perfection. Après avoir transformé Vincent Cassel et transfiguré Romain Duris, Audiard révèle un acteur étonnant, Tahar Rahim. Et confie à Niels Arestrup un personnage de parrain corse que le comédien sublime en "roi sans divertissement".

Niels Arestrup

Jacques Audiard, par sa maîtrise, sa rigueur, est seul aujourd'hui dans le cinéma français à épouser avec autant de force le fond et la forme, et même si un Prophète n'atteint peut-être pas la dimension émotionnelle de son précédent film, il ajoute une pierre majeure à sa riche filmographie.

Antoine Jullien

5 commentaires:

  1. Un prophète est un bon film c’est indéniable. On passe un bon moment. Mais est ce que ce bon moment mérite toutes les éloges de la presse ? Après avoir vu le film, la question se pose de toute évidence. Comment apporter du crédit à un film où le héros principal peut à la fois tuer un autre détenu à son arrivée en prison, tuer 2 ou 3 personnes et trainer sur 50m un homme à demi mort en plein centre ville au cours d’une permission ( à la fin de laquelle il arrive en retard d’ailleurs ) sans être inquiété le moins du monde par qui que ce soit? Et c’est à mon avis là où le bât blesse dans ce long métrage. Le réalisateur n’a probablement pas voulu aborder cet aspect de justice et je le respecte. Le seul problème est que ces invraisemblances discréditent le message porté. Sur quoi puis je me reposer pour tirer un enseignement de ce film. Quelles bases solides ai-je ? Le spectateur ne sait plus. Ce film n’est pas un documentaire sur l’univers carcéral, certes, mais cela permet il autant de largesses et de facilités? Il n’y a pas de justice dans la prison, c’est possible, je ne suis pas un expert…mais de là à appliquer le même raisonnement sur le monde extérieur, il y a un pas qui a été fait que je n’ose franchir. De plus, le film est un peu longuet, à mon sens, avec notamment le séjour du héros dans le sud de la France. Quel est l’intérêt si ce n’est justifier le titre du film et ce de façon pour le moins bizarre. (Lié au passage d’un animal sur une route…) Nous sommes loin de l’étymologie divine du mot prophète.
    Malgré tout il ne faudrait résumer un film que sur ces faits là et le spectateur passe malgré tout 2h30 somme toutes agréables …mais peut être pas autant que la presse l’a laissé supposer…

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  2. Pour ce qui est du titre, Audiard lui-même n'en n'est pas totalement satisfait. Il a d'ailleurs déclaré :"Le scénario original s'intitulait "Le Prophète" que j'ai changé en "Un Prophète" pour donner une dimension ironique. Même si je trouve que ça engage une injonction trop forte, car on attend forcément la prophétie". Je dois dire que je suis aussi perplexe sur la scène dite "du chevreuil". Pour l'instant, elle m'échappe.

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  3. Amis cinéphiles
    Je vous recommande vivement Un prophète.
    Un grand film, si rare en ce moment.
    A voir de toute urgence.

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  4. Je suis un peu d'accord avec le premier commentaire à savoir que je ne suis pas forcément aussi élogieux que toute la presse sur ce film. Et pourtant, je suis un grand fan de Sur mes lèvres et de De battre mon coeur s'est arrêté.J'ai trouvé "un prophète" bien filmé, les acteurs excellents, l'ambiance très bien rendue mais je suis sorti du cinéma un peu gêné simplement parce que je n'ai pas réussi à me mettre du côté du personnage principal. Audiard a évidemment insisté sur le côté grandi, plus fort du personnage à sa sortie de prison qu'à son entrée, mais il le montre comme si c'était une bonne chose, une happy end en quelque sorte, comme si devenir un criminel et un dealer renommé avait redonné une personnalité au "héros", l'avait fait grandir tout au long du film. POur moi, la fin de ce film est une fatalité mais je doute qu'Audiard ai voulu le rendre ainsi au vue de l'air fier et digne de son personnage à la toute fin du film.
    Je trouve qu'il y a beacoup moins d'humanité dans la fin que dans ses deux précédents films.
    A vous les studios

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  5. Le film vient d'être sélectionné pour représenter la France aux Oscars !

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