vendredi 3 octobre 2014

The Tribe

 
Après plus de cent ans d'existence, le cinéma peut encore nous proposer des expériences inédites. The Tribe, premier long métrage de l'ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy, récompensé par le Grand Prix de la Semaine de la Critique du festival de Cannes, a été tourné en langue des signes, sans sous-titres ni voix off car, comme le dit efficacement la bande annonce, l'amour et la haine n'ont pas besoin de traduction. Le réalisateur a voulu nous immerger au sein d'une communauté en racontant l'arrivée d'un sourd muet dans un centre spécialisé, en bord de Kiev. Le jeune homme va découvrir les brimades, le racket, les humiliations. Un récit initiatique qui va peu à peu prendre une éprouvante dimension métaphorique. 

La première scène voit ce jeune homme arriver en retard à la cérémonie protocolaire qui inaugure le séjour des futurs pensionnaires de l'établissement. Le seul moment où l'on verra les adultes avant de disparaître, laissant les adolescents régir eux-mêmes les règles impitoyables de ce vase-clos. D'emblée, Myroslav Slaboshpytskiy opte pour le plan séquence et tiendra ce dispositif tout au long du film, une manière pour le cinéaste d'intégrer davantage le spectateur à cet univers si particulier. On est dans un premier temps désarçonné devant ce langage qui nous est inconnu, fait de signes et de grands gestes. Mais l'universalité du propos à laquelle tend le réalisateur nous rend très vite ce monde familier. 


Sa caméra virtuose épouse superbement les trajectoires de ses personnages, tous interprétés par de véritables sourds muets. Myroslav Slaboshpytskiy réalise un tour de force, parvenant à nous captiver par sa seule mise en scène, composée de plans séquences éblouissants et d'un travail sonore impressionnant. Ce principe formel et le décor qu'il emploie rappellent fortement le style de Christian Mungiu dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours qui évoquait une terrible histoire d'avortement sous l'ère Ceausescu. De l'avortement, il en sera également question dans The Tribe, lors d'une séquence de près de dix minutes, à la limite du soutenable. 


De là vient notre réserve. La vision désespérante et désespérée de la société déliquescente que dépeint Myroslav Slaboshpytskiy interpelle et désole, de même que le peu de considération qu'il porte à ses protagonistes. L'humanité nait de la pourriture, semble nous dire le cinéaste qui ne nous donne aucune lueur d'espoir. Sous le vieil adage, "l'homme est un loup pour l'homme", il filme l’insouciance des jeunes filles à se prostituer, la rapport de force permanent, la violence comme seule échappatoire.

Un réalisateur se doit ne nous avertir de la réalité d'un monde laid et misérable, et s'il le fait avec talent comme Myroslav Slaboshpytskiy, on ne peut qu'applaudir. Mais au moment où l'Ukraine vit des heures particulièrement difficiles, il n'est pas certain que le portrait que le réalisateur brosse de son pays n'amène le spectateur à la moindre espérance. Il ne nous reste plus alors qu'à méditer sur cette citation de Socrate : "Nul n'est méchant volontairement." On voudrait tellement le croire. 

Antoine Jullien

Ukraine / Pays-Bas - 2h12
Réalisation et Scénario :  Myroslav Slaboshpytskiy
Avec : Grigoriy Fesenko (Sergei), Yanna Novikova (Anna), Rosa Babiy, Alexander Dsiadevich. 

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