mercredi 22 octobre 2014

La France qu'on ne voit pas

SAMBA / BANDE DE FILLES 

Deux longs métrages sortis cette semaine, très différents, nous montrent une France qu'on a rarement l'habitude de voir au cinéma.


Réunir 51 millions de spectateurs à travers le monde grâce à Intouchables mettait le tandem Eric Tolédano - Olivier Nakache sous pression. Avec Samba, leur cinquième long métrage, ils donnent à nouveau le premier rôle à Omar Sy qui campe un sans-papier essayant vaille que vaille de s'en sortir, collectionnant les petits boulots. Il fait alors la rencontre d'une femme, épuisée par un burn-out, qui tente de se reconstruire par le bénévolat.

Nakache et Tolédano ont un réel talent pour désamorcer les situations les plus graves grâce à une réplique inattendue ou à une attitude saugrenue de l'un des protagonistes. C'est ce qu'ils réussissent le mieux dans Samba, traiter une réalité sociale difficile sous une apparente légèreté. Cette efficacité scénaristique trouve son apogée dans les scènes de groupe, particulièrement lors des réunions de l'association qui vient en aide aux sans-papiers. Si le terme de "comédie à l'italienne" est aujourd'hui employé à hue et à dia, il trouve un sens dans le cinéma de Nakache et Tolédano, à la façon dont ils filment les mines mi-ahuries, mi-catastrophées des membres de l'association devant les cas parfois surréalistes qu'ils doivent accompagner. L'attention portée aux seconds rôles, tous très soignés, participe de cette même volonté, et on loue encore leur sens du casting en confiant des scènes savoureuses à la merveilleuse Hélène Vincent.  

Omar Sy et Charlotte Gainsbourg

Le choix des acteurs est également opérant concernant les rôles principaux, à commencer par Omar Sy et Charlotte Gainsbourg. Quel bonheur que de voir la comédienne éloignée des tortures infligées par Lars Von Trier ! Rayonnante, fragile, drôle par moments, l'actrice nous émeut dans la peau de ce personnage contrarié qu'elle parvient, grâce à sa singularité, à nous rendre attachant. Omar Sy, lui, est confronté pour la première fois de sa carrière à un registre plus intime qui lui convient plutôt bien. La scène où il écoute amoureusement Charlotte Gainsbourg lui raconter son passé compliqué, au milieu d'une station service, est une merveille de sensibilité feutrée. A contrario, Tahar Rahim, habitué aux personnages taciturnes, semble totalement s'épanouir dans le rôle exubérant de Wilson, à la tchatche féconde, très proche de celui d'Omar Sy dans Intouchables (une malicieuse inversion des rôles), et qui ment sur ses origines pour mieux se faire accepter.

Car les cinéastes lorgnent très clairement vers un tonalité plus dramatique que leurs œuvres précédentes. Samba nous parle d'hommes et de femmes dont on ne sait rien, vivant dans la clandestinité et la précarité, sans qu'à un seul instant les réalisateurs n'en fassent des victimes, privilégiant leur humanité, sans afféterie larmoyante. Si l'on aurait souhaité une mise en scène plus incisive (malgré une scène d'ouverture éloquente) et se dispenser d'un final en deux temps un peu trop fabriqué, Nakache et Tolédano évitent la plupart des pièges et des facilités qui plombaient par endroits Intouchables, nous offrant un film populaire de qualité, au sens le plus noble du terme. 

France - 1h58
Réalisation et Scénario : Eric Tolédano et Olivier Nakache d'après l’œuvre de Delphine Coulin
Avec : Omar Sy (Samba), Charlotte Gainsbourg (Alice), Tahar Rahim (Wilson), Izïa Higelin (Manu), Hélène Vincent (Marcelle). 


Disponible en DVD et Blu-Ray chez Gaumont Vidéo.


Après le troublant Tomboy qui avait marqué les esprits et suscité par la suite quelques vaines polémiques, Céline Sciamma a posé sa caméra dans une banlieue parisienne en filmant à nouveau une quête identitaire, celle de Marieme, 16 ans, entourée de ses trois copines, qui veut trouver sa place dans un environnement où prime la loi du plus fort. 

Ces quatre filles sont déterminées, bien décidées à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Céline Sciamma les présente comme des battantes, à l'instar de ce prologue épique qui voit des jeunes femmes au ralenti jouer au football américain. Une ouverture surprenante et très esthétique dans laquelle la réalisatrice veut marquer son empreinte et se différencier ainsi d'un genre, "le film de banlieue", qu'on a souvent dépeint selon le même angle. 

Karidja Touré

Ici, les femmes prennent toute la place et les hommes en sont réduits à des figures autoritaires ou menaçantes. Un parti pris assumé et judicieux car Sciamma montre bien comment les règles masculines ont, insidieusement, envahi la cité. Et ces jeunes femmes ne peuvent y échapper, elles aussi plongées dans une violence physique ou verbale qui trouve son point d'orgue lors de très vifs combats de rue. La réalisatrice n'occulte donc pas une réalité déplaisante à regarder mais son sujet est ailleurs, celui de l'émancipation de Marième qui va devenir Vic, au sein de cette bande de filles.

Et si ce groupe possède une énergie et une fougue évidentes, la réalisation de Céline Sciamma, elle, en est malheureusement dépourvue, et les morceaux de musique électro plaqués ici et là ne changent rien. Ce n'est pas parce que l'on filme des femmes en train de danser sur Rihanna, dans une séquence à la longueur presque complaisante, que l'on conçoit un film "énergique". Le rythme est chancelant, la direction d'acteurs hésitante (on sent parfois, au détour d'un plan, que ces apprenties comédiennes sont dirigées), et le style est incertain, entre cinéma naturaliste et entreprise plus romanesque. La réalisatrice semble ouvrir de nombreuses pistes qu'elle n'explore pas suffisamment, utilisant de manière un peu facile les ellipses pour marquer les différentes étapes du parcours de son héroïne, sans qu'on ne soit véritablement convaincu par la pertinence du procédé. Et le dernier plan, un peu artificiel et faussement rassurant, ne nous convaincra pas davantage. 

Antoine Jullien

France - 1h52
Réalisation et Scénario : Céline Sciamma 
Avec : Karidja Touré (Marieme/Vic), Assa Sylla (Lady), Lindsay Karamoh (Adiatou), Mariétou Touré (Fily).  

2 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé Samba ! C'est un film tendre et généreux !

    RépondreSupprimer
  2. Cette critique m'émeut, car je me la suis formulée à moi-même pendant le film. J'ai en particulier été très sensible à la non-victimisation, que je trouve rare dans le ciné français actuel, et que Mon Cinématographe souligne de son côté. La référence à la comédie italienne pour ce couple d'auteurs "couillus" se justifierait dans le choix des sujets au réalisme social incisif, si l'humour prenait dans leurs films une encore plus grande dimension burlesque. En tous cas des réalisateurs à suivre sans hésiter dans l'avenir.

    RépondreSupprimer