dimanche 7 septembre 2014

Les films de la rentrée

ENEMY / PARTY GIRL / HIPPOCRATE


Le réalisateur québécois Denis Villeneuve a décidément la côte, enchaînant deux longs métrages coup sur coup... et qui ne sont pas sortis dans le bon ordre. L'excellent Prisoners a en effet été tourné après Enemy, mais pour des raisons logistiques propres aux studios, il est sorti dans les salles en premier. A part Jake Gyllenhaal, les deux films semblent ne pas avoir grand chose en commun... et pourtant. Avec cette histoire d'un homme qui rencontre son double, Denis Villeneuve poursuit son exploration des zones grises de l'âme humaine avec le même pouvoir d'attraction. 

Jake Gyllenhaal est à la fois Adam et Anthony. L'un est un professeur de lettres réservé, l'autre est un acteur de seconde zone qui attend son premier enfant. Dès la séquence inaugurale, l'effroi nous gagne. Non seulement à cause de ce qu'elle dévoile mais surtout de ce qu'elle laisse présager. La mise en scène de Denis Villeneuve va décupler cette angoisse souterraine grâce à sa pleine maîtrise de la caméra qui filme Toronto comme une ville fantôme (le film est sans doute la pire carte postale que pouvait craindre l'office de tourisme de la ville), enveloppée d'une lumière sépia qui dévitalise toute humanité. Les influences de Villeneuve sont à chercher du côté de Cronenberg pour les apparitions monstrueuses et à Lynch pour cette atmosphère si particulière renforcée par une utilisation magistrale du son et de la musique. 

Jake Gyllenhaal

Lorsque les deux hommes se voient pour la première fois, on est soudain pris d'un vertige. Rien ne les distingue mais le talent de Jake Gyllenhaal parvient à nous les rendre identifiables. Un jeu dangereux s'amorce alors, le film devenant une quête identitaire de plus en plus schizophrène. Le spectateur est désarçonné et se met à douter de ce qu'il voit à l'écran, déstabilisé par les réactions parfois surprenantes des protagonistes. Au générique de fin, on se met à échafauder différentes théories, essayant de déjouer les fils d'une énigme obsédante. L'une d'entre elles est séduisante (à vous de la trouver !) et apporte une autre dimension à cet Enemy, cauchemar arachnéen qui vous fera passer des nuits agitées. 

Canada / Espagne - 1h30
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Javier Gullon d'après la nouvelle de José Saramago 
Avec : Jake Gyllenhaal (Adam / Anthony), Mélanie Laurent (Mary), Sarah Gadon (Helen), Isabella Rossellini (La mère). 







Party Girl, premier long métrage de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, a décroché la prestigieuse Caméra d'or lors du festival de Cannes. S'inspirant de la vie de son personnage principal, le film oscille entre fiction et documentaire pour dresser le portrait sensible d'une femme plus toute jeune qui, après avoir été entraîneuse de cabaret à la frontière franco-allemande, décide de se ranger en épousant un habitué du lieu. Une autre vie commence pour Angélique, entourée de ses quatre enfants. Mais le désir de séduire et le besoin de faire la fête vont finir par contrarier ses nouvelles résolutions. 

Angélique Litzenburger

Angélique Litzenburger, la mère de Samuel Theis, existe bien mais elle est devenue, grâce aux trois cinéastes, un personnage de cinéma, haut en couleurs, d'une énergie folle, une bourrasque qui va causer quelques dégâts sur sa route. Car si elle se persuade de devenir (enfin !) raisonnable, à soixante ans passés, la raison ne tiendra pas longtemps face à son caractère entier. Tour à tour attendrissante et égoïste, enjouée et cruelle, elle est la clef de voûte de l'histoire et l'intérêt essentiel qu'on peut lui porter. Car les trois apprentis réalisateurs se retrouvent bien vite sur les terres balisées du cinéma-vérité, sans apporter d'angle nouveau à ce genre rebattu. Le début fait même craindre le pire tant on a la désagréable impression de se retrouver devant un mauvais épisode de l'émission Striptease, une ode complaisante au misérabilisme. La suite sera nettement meilleure, grâce notamment à une réalité sociale très incarnée, mais le concept même du film trouve ses limites, à coup d'improvisations et de mélange fiction / réel. Les enfants d'Angélique sont "joués" par ses propres filles et fils mais les personnages périphériques sont interprétés par des acteurs non professionnels. Le fait de rejouer une vie de cinéma décalquée sur le véritable vécu des protagonistes a quelque chose de séduisant mais aussi d'un peu vain. Party Girl est dans ce partage des eaux mais reste sublimé par le regard d'Angélique, définitivement ineffaçable. 

France - 1h35
Réalisation et Scénario : Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis sur une idée de Samuel Theis. 
Avec : Angélique Litzenburger (Angélique), Joseph Bour (Joseph), Mario Theis (Mario), Samuel Theis (Samuel). 




Hippocrate est le deuxième long métrage réalisé par Thomas Lilti qui s'est inspiré de son expérience personnelle de soignant afin de filmer l'itinéraire de deux internes en médecine. Le jeune réalisateur a le mérite de sonder un milieu professionnel, l'hôpital public, ce que le cinéma français n'ose pas assez. Connaissant parfaitement l'activité médicale, il a réussi à allier ce souci documentaire aux besoins de la fiction. Et le résultat, très réaliste, est une complète réussite. 

Reda Kateb et Jacques Gamblin

Ne sortant presque jamais des murs de l'hôpital, Thomas Lilti nous en fait découvrir les moindres recoins, des chambres des malades au réfectoire des internes en passant par les sous-sols, c'est une ruche hétéroclite qui palpite sous l'oeil aiguisé de sa caméra. Son sens de l'observation fait mouche et sa direction d'acteurs également, où brille Vincent Lacoste, révélé dans Les Beaux Gosses, qui trouve ici son premier rôle adulte, et Reda Kateb (Un Prophète, Gare du nord) qui confirme de film en film son charisme tranquille. Ils vont devenir les acteurs mais aussi les victimes d'une institution vacillante où le manque de moyens le dispute aux guerres de services. Thomas Lilti n'oublie donc pas de dénoncer les dysfonctionnements de l'hôpital, ces prises de décision parfois hâtives aux conséquences graves mais rend également un vibrant témoignage au travail du personnel hospitalier dont l'abnégation et le sens des responsabilités balayent les idées préconçues. 

Il parvient enfin à nous faire vivre cet environnement en alternant les plages d'humour, filmant des moments de rigolade entre internes, à la confrontation avec les familles puis l'accompagnement des malades en fin de vie. Poignant par endroits, cocasse dans d'autres, Hippocrate est à la hauteur de son serment et nourrira peut-être, malgré les difficultés montrées, de futures vocations. Un bien d'utilité publique.

Antoine Jullien 

France - 1h42
Réalisation : Thomas Lilti - Scénario : Thomas Lilti, Julien Lilti, Baya Kasmi et Pierre Chausson
Avec : Vincent Lacoste (Benjamin), Reda Kateb (Abdel), Jacques Gamblin (Le professeur Barois), Marianne Denicourt (Dr. Denormandy). 

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