samedi 19 mai 2012

De rouille et d'os



De Rouille et d'os... Dans les titres qu'il donne à ses films, Jacques Audiard aime se référer au corps : Sur mes lèvres, De battre mon coeur s'est arrêté... Le corps est en effet un élément clef dans la filmographie du cinéaste qu'il filme et malmène à loisir. Pour son sixième long métrage, il adapte les nouvelles de l'auteur canadien Craig Davidson et orchestre une rencontre nourrie de blessures et de chocs entre deux êtres bringuebalés par les circonstances de la vie. Un changement de registre pour le cinéaste, en apparence seulement, qui, sous les contours du mélo, évoque plus que jamais ses obsessions... et prend quelques risques.

Ali se retrouve avec son fils de cinq ans, Sam, qu'il connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, il trouve refuge chez sa soeur à Antibes. Il fait alors la rencontre de Stéphanie, dresseuse d'orques au Marineland. Mais un spectacle aquatique tourne mal et un accident l'amène à perdre ses deux jambes. Il va alors l'aider, sans compassion ni pitié. 

Marion Cotillard et Mathias Schoenaerts

L'arrivée de Marion Cotillard dans l'univers si masculin de Jacques Audiard avait de quoi intriguer. L'actrice oscarisée est arrivée sur le projet sans préparation et cette vérité de l'instant a sans doute contribué à la réussite de son interprétation. Loin de la sophistication hollywoodienne de ses derniers films, elle apparaît sans fard, dans un dénuement total, ne versant pas dans l'apitoiement mais apportant à son personnage une fierté et un courage que la caméra de Jacques Audiard ne vient jamais travestir, même dans les instants les plus douloureux du film. On sent parfois le cinéaste à trop grand distance de son sujet, rejetant tout effet de psychologie. S'il livre des moments empreints de poésie, comme ses belles retrouvailles entre l'orque et sa victime, il se sent obliger d'empêcher l'émotion d'apparaître véritablement en filmant la réalité sociale d'Ali et les figures hétéroclites, un peu vaines, qui tournent autour de lui. L'univers de la boxe de rue, dans lequel il y trouve un certain plaisir, semble presque superflu tant Audiard rejoue une partition qu'il avait poussée à son extrémité dans Un Prophète où la violence terrible des coups répondait à la brutale ascension de Malik.


Le cinéaste garde pourtant intact son art visuel qui se joue des éléments naturels de l'environnement qu'il filme afin de procurer une intensité incomparable. Ainsi, les baignades entre Ali et Stéphanie, qui expose alors crûment son infirmité, sont remplies d'une sérénité solaire et apaisante, à l'image de la lumière du sud que le réalisateur capte superbement, et empreinte d'une grande délicatesse. La délicatesse, c'est pourtant ce qui manque cruellement à Ali (Mathias Schoenaerts, la révélation de Bullhead), consommateur de femmes, père absent, qui se dit « opé » quand Stéphanie veut bien coucher avec lui. Audiard aborde de front la sexualité, et sa manière de la représenter pose question, entre impudeur animale et banalité de l'instant.

Mais s'agit-il d'une histoire d'amour ? Le cinéaste se garde bien de donner une réponse claire et tranchée. Il est toutefois intéressant de noter que le deuxième personnage féminin majeur de sa filmographie est handicapée, après Emmanuelle Devos dans Sur mes lèvres. Dans ce film, elle retournait son handicap à son avantage et finissait par dominer Vincent Cassel. Ici, les prothèses de Marion Cotillard la remette en selle mais au service de l'homme qu'elle croit aimer. Un renversement des rôles et un effacement progressif qui conduit Audiard à commettre des lourdeurs scénaristiques qu'on se gardera bien de dévoiler mais qui paressent soudain flagrantes alors que jusqu'à maintenant, le cinéaste avait su magnifiquement jongler entre la finesse de ses scripts et la puissance de sa mise en scène. Si elle demeure, le réalisateur est cette fois moins à l'aise. La prise de risque n'est donc pas totalement payante et éclaire plus frontalement l'ambiguité troublante qu'Audiard entretient sur les rapports entre les hommes et les femmes. Entre fascination et répulsion.

Antoine Jullien

1 commentaire:

  1. Je viens de voir le film. Je suis bouleversée par l'histoire, le jeu des acteurs, une réalité difficile à vivre. De la poésie, de l'humour aussi avec le langage cru sans complexe d' Ali. J'ai adoré ce film.

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