DEEP END / TRAVAIL AU NOIR / LE JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE / LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE / COMMENT VOLER UN MILLION DE DOLLARS / BIRD / IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE
La saison estivale est propice aux ressorties et cet été ne déroge pas à la règle. Deux cinéastes sont particulièrement à l'honneur en cette période pluvieuse. Jerzy Skolimowski, le réalisateur polonais dont un hommage a été rendu au festival Paris Cinéma, est relativement méconnu malgré une quinzaine de titres parmi lesquels le récent Essential Killing. Deux de ses oeuvres majeures ressortent en copies neuves. Deep end, réalisé en 1970, explore les émois d'un jeune garçon embauché dans un établissement de bains publics de l'est londonien. Il y fait la connaissance d'une collègue, Susan, qui va le faire plonger dans une dangeureuse spirale de fantasmes et d'obssession. Prenant à rebourds les clichés du Swinging London des sixties dépeints par son compatriote Polanski dans Répulsion et Antonioni dans Blow Up, Skolimowski évoque un quartier défavorisé dans lequel le décor déliquescent des bains joue un rôle essentiel. Prouvant ses talents de plasticien, le cinéaste filme le lieu comme une métaphore des chamboulements interieurs du jeune homme en jouant sur une gamme chromatique allant du jaune au vert jusqu'au déchaînement final de peinture rouge. Film déstabilisant sur un état adolescent en pleine mutation, Deep end, par un montage abrupt et une musique lancinante signée Cat Stevens et le groupe Can, est une tragédie amoureuse autant qu'une étude du désir dans ce qu'il a de plus irrationnel.
Travail au noir, tourné en 1982, raconte l'arrivée à Londres de trois maçons polonais et leur contremaître, Novak (Jeremy Irons), venus travailler au noir. Lorsqu'il prend connaissance du coup d'état en Pologne, Novak tait la nouvelle à ses compatriotes. Contrairement à Deep End, un peu trop prisonnier d'une époque, Travail au noir frappe par sa contemporanéité. Allégorie de tous les totalitarismes, le film dissèque une société repliée sur elle-même à l'image de ces caméras de surveillance qui scrutent les clients d'un supermarché. Skolimowski réalise un étrange huis-clos aux accents kafkaïens dans lequel la voix intérieure de Jeremy Irons dit la condition dérisoire d'hommes devenus étrangers à eux-mêmes.
L'immense Luis Buňuel est aussi à l'honneur à travers deux de ses joyaux, Le journal d'une femme de chambre et Le charme discret de la bourgeoisie. On ne se lasse pas d'admirer l'incroyable audace du cinéaste et de son fidèle scénariste Jean-Claude Carrière qui ne reculaient devant aucun tabou. Si Le Journal d'une femme de chambre, qui marque le début de la période française de Buňuel, est une charge féroce sur la religion et la société bourgeoise, Le Charme discret de la bourgeoisie, sans doute le sommet de son oeuvre, navigue davantage dans les eaux du surréalisme qui fut, dès Un chien andalou, la pierre angulaire du cinéaste. A l'image de la scène récurrente où les protagonistes marchent le long d'une route de campagne déserte, le film ne condamne pas ses personnages mais les abandonnent au principe de la répétition que le réalisateur décline génialement, usant d'une inventivité ahurissante. Comme le disait le cinéaste dans un élan de provocation dont il était coutumier : "Un scénariste doit chaque jour tuer son père, violer sa mère et trahir sa patrie".
Bande Annonce - LE REGARD DE BUNUEL par artcinefeel
Si l'on préfère savourer un moment de détente garanti, allez voir Comment voler un millions de dollars, une comédie sophistiquée réalisée par William Wyler en 1966 qui entraîne la pétillante Audrey Hepburn et le distingué Peter O'Toole dans une histoire de statue volée dans un musée parisien. Un divertissement hollywoodien haut de gamme où My fair Lady et Lawrence D'Arabie tombent amoureux dans les décors classieux du grand Alexandre Trauner.
C'est avec Bird, présenté au festival de Cannes en 1988, que Clint Eastwood acquiert ses galons de grand cinéaste. Si la critique française commence (enfin) à le reconnaître, le réalisateur reste encore enfermé dans le costume de L'inspecteur Harry. Avec cette évocation très personnelle du saxophoniste Charlie Parker, Eastwood fait taire ses détracteurs. Filmé comme une partition de jazz avec ses fulgurances et son rythme syncopé, Bird n'est pas qu'un simple biopic, Eastwood retrouvant l'essence même de la musique pour nous raconter la vie d'un homme dont le génie précoce et l'abus de drogue finiront par lui être fatals. Il offre en outre à Forest Whitaker une performance magistrale qui lui vaudra le prix d'interprétation. Quand la passion du jazz chère à Eastwood fait se croiser l'une de ses légendes, cela donne un grand film magnifié par une bande son d'exception.
Enfin, comment ne pas terminer ce flot de reprises avec Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, soit l'un des plus beaux films du monde. S'étalant sur plus de soixante ans, cette sublime fresque raconte la vie de Noodles, de son enfance miséreuse à New York jusqu'à son ascension au sein du grand banditisme. Porté par la magnifique musique d'Ennio Moriconne et l'interprétation exceptionnelle de Robert de Niro et James Woods, le film est une déchirante méditation sur la vie corrompue, ses trahisons et ses regrets éternels. Sergio Leone se livre comme il ne l'avait encore jamais fait et montre une créativité constante, en témoigne la séquence du plus long coup de téléphone de l'histoire du cinéma qui résume à elle seule la trajectoire de Noodles. Et cette réplique légendaire que De Niro lance à l'un de ses amis qui lui demande : "Qu'as-tu fait durant toutes ces années ? - Je me suis couché tôt". Chef d'oeuvre.
Antoine Jullien
Antoine Jullien
Un énorme film qui de Sergio Léone. A voir et a revoir ..... Je partage votre avis / critique sur ce film. Félicitations pour votre blog cinématographique qui contient d'excellentes critiques.
RépondreSupprimerA bientôt. Loïc