mercredi 20 janvier 2016

Les Chevaliers Blancs

 
Le réalisateur Joachim Lafosse aime changer de registre. Après le troublant Elève Libre et le névrotique A perdre la raison (déjà adapté d'un fait divers), il s'attaque à une affaire qui avait suscité la controverse, celle de l'Arche de Zoé, une association humanitaire qui voulait illégalement embarquer des enfants orphelins tchadiens pour la France où les attendaient des parents adoptants avant d'être finalement arrêtés par les autorités tchadiennes puis condamnés par la justice française. Ne souhaitant pas rencontrer les principaux protagonistes de l'affaire, le réalisateur s'est éloigné de la vérité judiciaire pour arpenter le terrain de la fiction. En résulte une œuvre qui nous interroge sur notre statut de dominant.

Jacques Arnault (Vincent Lindon), président de l'ONG "Move for Kids", a convaincu des familles françaises en mal d'adoption de financer une opération d'exfiltration d'orphelins d'un pays d'Afrique ravagé par la guerre. Entouré d'une équipe de bénévoles dévoués à sa cause, il a un mois pour trouver 300 enfants en bas âge et les ramener en France.


"L'enfer est pavé de bonnes intentions". Cette maxime colle parfaitement à la démarche de Jacques Arnault. Car pour réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village qu'il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à ces jeunes victimes de guerre jusqu'à l'âge de quinze ans. Il dissimule donc aux populations le véritable but de sa démarche. L'homme est persuadé de sauver ces enfants et tous les moyens, mêmes les moins reluisants, semblent à ses yeux justifier ses mensonges. Sa compagne (Louise Bourgoin), réellement convaincue du bien fondé de leur mission, l'épaule tandis qu'une partie du groupe doute de la légalité de l'entreprise au point de partir. Au milieu d'eux, une journaliste (Valérie Donzelli) censée tourner un reportage sur l'association va peu à peu perdre ses repères moraux.

Vincent Lindon

Le film scrute de manière lucide la perversité d'une organisation en ne désignant jamais les "méchants". Joachim Lafosse a préféré privilégier leur humanité, à commencer par Vincent Lindon que l'on aurait presque envie de suivre malgré les nombreuses zones d'ombre du personnage. Son charisme dynamise le film, notamment lors de ses nombreux échanges avec les chefs de village dans lesquels le cinéaste pointe la corruption et révèle surtout une forme de néo-colonialisme. L'argent est alors le meilleur des passe-droits et tout le monde en profite. Jusqu'à ce que l'un des membres "en ait honte".

Joachim Lafosse a repris des éléments clés de l'affaire de l'arche de Zoé pour en tirer un propos plus large sur nos civilisations dominantes. Un malaise palpable grandit tout au long du film à mesure que la tension gagne le cœur du groupe et que les personnages franchissent de plus en plus nettement la ligne rouge. Le réalisateur a également su recréer le climat de peur et de danger qui entoure les membres de l'association, donnant une ampleur inédite à sa mise en scène. En explorant la face obscure de "l'humanitaire", Joachim Lafosse continue d'être un "poil-à-gratter" qui aime déborder des frontières un peu trop balisées du cinéma tricolore.

Antoine Jullien

France / Belgique - 1h52
Réalisation : Joachim Lafosse - Scénario : Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen et Bulle Decarpentries
Avec : Vincent Lindon (Jacques Arnault), Louise Bourgoin (Laura Turine), Valérie Donzelli (Françoise Dubois), Reda Kateb (Xavier Libert). 

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Le Pacte

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