Un sujet et son réalisateur sont parfois si inextricablement mêlés que le film sonne comme une évidence. Le cinéaste hongrois László Nemes a perdu une partie de sa famille dans le camp d'Auschwitz. Une histoire qui le hante depuis toujours. Sur le tournage du film L'homme de Londres de Béla Tarr dont il était l'assistant, il découvre un livre de témoignages publié par le Memorial de la Shoah, des textes écrits par des membres des Sonderkommando dans lesquels ils décrivent leurs tâches quotidiennes et les règles du fonctionnement du camp d'extermination. Le réalisateur choisi alors l'un d'entre eux comme personnage principal. C'est par lui que l'indicible pourra être raconté.
Saul Ausländer est un Sonderkommando. Juif déporté, il est forcé d'assister les nazis dans leur plan d'extermination, chargé d'accompagner les victimes jusqu'aux chambres à gaz tout en les rassurant. Il les déshabille, les fait entrer puis débarrasse les corps, les brûle dans des crématoriums tout en nettoyant les lieux. Il découvre le cadavre d'un jeune garçon qu'il croit être son fils et décide de lui trouver une sépulture.
Filmer la Shoah représente pour tout cinéaste un périlleux défi moral. László Nemes a eu raison de la dépeindre par le point de vue d'un travailleur de l'effroyable. La caméra du réalisateur ne se substitue pas à Saul, tel un regard subjectif, mais l'accompagne sans cesse. Souvent placée derrière son dos, elle capte des fragments de l'horreur, le plus souvent flous ou hors champ, à l'aide du format 1.33 qui resserre le cadre. Ainsi, elle ne rentre pas à l'intérieur des chambres à gaz car les Sonderkommando devaient rester à attendre que les déportés soient morts. Saul est au cœur de l'enfer et László Nemes, malgré son indéniable maîtrise, ne le rend pas esthétique. L'importance accordée au son, rempli de cris, de bruits sourds, de langues diverses, rend compte de manière saisissante du rythme infernal de l'usine de mort nazie. Rappelons que durant l'été 1944, 10000 à 12000 juifs furent assassinés chaque jour dans le camp d'Auschwitz-Birkenau.
Le cinéaste n'a pas voulu héroïser son personnage en ne créant pas d'empathie avec lui. Saul semble vide, impassible face à l'abomination qu'il vit au quotidien. Sa volonté presque dérisoire de trouver une sépulture à son fils paraît aller à l'encontre de la tentative d'évasion que prépare plusieurs déportés. Saul se dit lui-même "déjà mort" alors que les autres détenus lui reprochent "d'avoir abandonné les vivants." Mais peut-on encore être en vie lorsque l'on brûle des milliers de cadavres quotidiennement ? Cette image incroyable et terrifiante des cendres des victimes dispersées dans une rivière, envahissant l'écran, montre à quel point ces hommes ne survivent plus que dans la mort.
Saul se sait condamné car les Sonderkommandos étaient eux-mêmes régulièrement éliminés. Son acte de désobéissance, c'est son fils. A moins que ce ne soit pas le sien. László Nemes entretient l’ambiguïté, et cette quête désespérée se transforme en une métaphore de la résistance face à la barbarie. L'enfant deviendra un symbole jusque dans la dernière séquence, magistrale. Même si la distance souhaitée par László Nemes pourra en éloigner certains, Le Fils de Saul, Grand Prix du Festival de Cannes, est une œuvre importante et nécessaire. Contre l'oubli.
Antoine Jullien
Hongrie - 1h47
Réalisation : László Nemes - Scénario : László Nemes et Clara Royer
Avec : Géza Röhrig (Saul), Levente Molnár (Abraham), Urs Rechn (Oberkapo Bierderman).
Disponible en DVD et Blu-Ray chez Ad Vitam
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