vendredi 18 octobre 2013

Les films à voir depuis la rentrée

Mon Cinématographe reprenant l'année en cours de route, un rappel des films à voir depuis la rentrée s'impose.

Blue Jasmine de Woody Allen


On attendait plus Woody Allen à un tel niveau ! Après des bulles récréatives et légères plus ou moins inspirées, il retrouve la maestria, le mordant et la cruauté de Match Point. Les deux films diffèrent à plus d'un titre mais ils ont en commun la même maîtrise du récit, qui voit le présent fauché de Cate Blanchett à San Francisco affronter le passé bling bling de son personnage à New York. 

Alors que le procédé pourrait paraître démodé, Woody Allen lui donne au contraire une puissance sidérante car les deux époques évoquent magistralement toute la complexité du personnage que le cinéaste malmène volontiers tout en lui conférant une part d'humanité qui intrigue tout au long du film. 

Blue Jasmine est un portrait carnassier et terriblement juste de notre époque qui rappelle le talent d'observateur de Woody Allen et sa faculté à ne jamais faire de ses protagonistes des caricatures.  Démarrant vers la comédie, le film vire au noir de plus en plus aigre à mesure que Jasmine s'enfonce dans ses mensonges et ses illusions. Un personnage qui se noie progressivement, incapable de se confronter à la réalité de son existence. Cate Blanchett porte ce personnage à des hauteurs insoupçonnées, incarnant toutes la palette d'émotions qu'un acteur puisse nous procurer. La dernière image, cruelle, nous dit à quel point on a face à nous une très  grande comédienne au service d'une oeuvre majeure et (très) désespérée sur la condition humaine.

Etats-Unis - 1h38
Réalisation et Scénario : Woody Allen 
Avec : Cate Blanchett (Jasmine), Sally Hawkins (Ginger), Alec Baldwin (Hal), Peter Sarsgaard (Dwight), Bobby Canavale (Chili).



Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh 


Il est fort dommage que le public français ait boudé l'ultime opus (vraiment ?) de Steven Soderbergh. Si le cinéaste avait aligné ces dernières années les longs métrages avec un enthousiasme inégal, il signe, avec Ma vie avec Liberace, l'un de ses plus beaux films. 

Evoquant la vie du pianiste Liberace, très connu aux Etats-Unis mais peu dans nos contrées, et son histoire d'amour avec Scott Thorson, Soderbergh transcende la biopic traditionnel en alliant le strass et les paillettes du monde du spectacle dans les années 70, avec tout le kitsch que cela suppose, à la relation sulfureuse et cruelle entre deux hommes qui s'aimaient mais qui ne l'assumaient pas tout à fait. 

La sensibilité dont fait preuve Soderbergh dans sa façon de filmer ses personnages émeut, autant que les deux immenses acteurs qu'il dirige magnifiquement. Michael Douglas et Matt Damon sont dans une symbiose étonnante, complémentaires dans l'exubérance comme dans la retenue. Malgré leurs postiches et leurs costumes improbables, ils nous bouleversent. Voir ces deux comédiens s'impliquer à ce point dans un projet qu'aucun studio ne voulait (le film a été financé par la chaîne HBO) nous interroge sur leur absence au palmarès du dernier festival de Cannes.

Etats-Unis - 1h59
Réalisation : Steven Soderbergh - Scénario : Richard LaGravenese d'après le livre de Scott Thorson et Alex Thorleifson 
Avec : Michael Douglas (Liberace), Matt Damon (Scott Thorson), Rob Lowe (Dr. Jack Startz), Dan Aycroyd (Seymour Heller), Scott Bakula.



La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche 


Vous n'entendrez pas dans ces colonnes le mot "chef d'oeuvre" tellement galvaudé et repris à longueur d'articles pour évoquer La vie d'Adèle. On ne passera pas non plus sous silence les méthodes du cinéaste (voir article plus bas). On dira simplement que le cinquième long métrage d'Abdellatif Kechiche est un bon, peut-être même un très bon film qui réussit le prodige de nous emporter avec l'histoire d'amour de deux jeunes filles sans que les trois heures de projection ne se fassent sentir. 

La vérité que le cinéaste cherche par tous les moyens à capter n'est pas nouvelle dans sa filmographie mais il la pousse à son paroxysme, en filmant les corps comme de la matière (voir les innombrables plans sur la bouche d'Adèle), particulièrement lors de plusieurs scènes de sexe tant décriées qui interpellent par leur durée et leur filmage à la limite de la pornographie. 

On peut en revanche reprocher au cinéaste son approche assez sommaire des milieux sociaux et son parti pris trop évident vers le personnage d'Adèle (la révélation Adèle Exarchopoulos) qui incarne l'enseignement, donc la transmission du savoir, la générosité et l'écoute vers l'autre alors qu'Emma (Léa Seydoux) en est réduite à une figure d'artiste égoïste et dictatoriale (un portrait en creux du cinéaste ?) qui se complaît dans l'artificialité du milieu de l'art. Certes, le film n'est pas aussi schématique, mais il dessine un monde binaire que vient contrarier les comédiennes qui emportent tout sur leur passage, notamment lors d'une séquence de retrouvailles inouïe d'intensité.

France - 2h57
Réalisation : Abdellatif Kechiche - Scénario : Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroix d'après la bande-dessinée de Julie Maroh
Avec : Adèle Exarchopoulos (Adèle), Léa Seydoux (Emma), Salim Kechiouche (Samir), Catherine Salée (la mère d'Adèle), Aurélien Recoing.



La Danza de la Realidad d'Alejandro Jodorowsky


Le réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky est un cas unique. Cinéaste de films complètement barrés dans les années 60-70 (La Montagne sacrée et El Topo), auteur de bandes dessinées dont L'Incal coécrit avec Möebius, metteur en scène de théâtre, il nous revient avec La Danza de la Realidad qui évoque son enfance au Chili dans les années 30 et le parcours de son père jusqu'à la rédemption. 

Influencé autant par Fellini que par les surréalistes, Jodorowsky peuple son monde de freaks attachants et se permet toutes les audaces, comme celle de transformer sa mère en chanteuse d'opéra ou de réaliser un film d'époque avec les tenues d'aujourd'hui. Si visuellement, le film n'est pas toujours à la hauteur, il nous chamboule, secoue nos habitudes de spectateur et nous conforte dans l'idée que le cinéma est un art total et qu'il doit fuir tous les conformismes. Qu'un artiste de 82 ans soit l'un des seuls à nous le rappeler est à la fois triste et terriblement beau.

Chili / France - 2h10
Réalisation et Scénario : Alejandro Jodorowsky 
Avec Brontis Jodorowsky (Jaime), Pamela Flores (Sara), Jeremias Herskovits (Alejandro enfant).



Prisoners de Denis Villeneuve


Pour son premier film aux Etats-Unis, le cinéaste québécois Denis Villeneuve, auréolé grâce à Incendies, frappe fort. Prisoners a été maladroitement comparé à des classiques du genre (du Silence des Agneaux à Mystic River) alors qu'il possède une véritable personnalité, faisant déjà partie des thrillers de référence. 

S'attachant à dépeindre les conséquences engendrées par l'enlèvement de deux fillettes du point de vue des parents comme celui de l'enquêteur, Prisoners brise les frontières entre le bien et le mal et parvient à devenir suffocant à mesure que le suspense s'installe. Filmant méticuleusement l'univers brumeux et trempé d'une petite ville américaine, Denis Villeneuve ne s'embarrasse pas d'effets de manche, concentrant sa mise en scène sur les visages de ses acteurs et sur les nombreux rebondissements du scénario. La tension sourde que le cinéaste arrive à faire naître ne se dissipera jamais, plongeant le spectateur dans un état de peur et d'effroi permanent. Une très grande réussite, qui voit des comédiens comme Hugh Jackman, parfois sous employés, faire preuve d'une présence saisissante. Incontournable. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h33
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Aaron Guzilowski 
Avec : Hugh Jackman (Keller Dover), Jake Gyllenhaal (Detective Loki), Maria Bello (Grace Dover), Paul Dano (Alex Jones), Melissa Leo.

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