Jaco Van Dormael aura mis treize ans pour que son grand rêve de cinéma aboutisse. Mr Nobody a suivi une longue gestation. Il fallait du temps au cinéaste pour arriver à imbriquer toutes les vies vécues ou rêvées de son héros, Némo (Jared Leto), alias Mr Nobody. Dans un futur lointain, l'homme âgé de 129 ans se remémore auprès d'un journaliste les différents femmes de sa vie qui ont toutes découlé d'un choix capital : partir avec son père ou sa mère suite à leur séparation alors qu'il n'avait que neuf ans.
Ce projet, fou à mettre en œuvre, nourrissait les pires craintes comme les attentes les plus folles. Après la non sélection au Festival de Cannes, la sortie du film fut repoussée à plusieurs reprises et les doutes commençaient à naître sur le devenir de cette œuvre unique dans le paysage européen, coproduite par quatre pays (France, Allemagne, Belgique et Canada) et doté d'un budget de plus de trente millions d'euros. Le constat est aujourd'hui amer : les espoirs sont bien déçus.
Van Dormael ne manque ni de talent ni d'invention, le souvenir du formidable Toto Le Héros résonne encore dans nos mémoires cinéphiles. Le problème vient plutôt d'un curieux manque de personnalité. Le film semble se raccrocher à tout ce qu'on a déjà vu au cinéma et les hommages, voire plagiats sont légion. Certaines scènes, notamment celle où Némo plonge dans un lac au volant de sa voiture et qu'un poisson vient à sa rencontre, rappelle étrangement Big Fish de Tim Burton. Les emprunts à 2001, Harold et Maude, Requiem for a dream (déjà avec Jared Leto ?) sont criants. Alors quoi, le cinéaste n'aurait-il plus d'idées ? Heureusement, il parvient de temps à autre à nous étonner, et le héros habillé en pull Jacquard se réveillant dans un décor au même motif restera un moment saugrenu mais brillant.
Jared Leto
En dehors de ces quelques jolis instants, le cinéaste tombe trop souvent dans l'imagerie publicitaire, les effets spéciaux clinquants et la musique "juke-box". Et la mécanique scénaristique, qui fait passer Némo d'une femme à l'autre selon qu'il soit avec son père ou sa mère, lasse rapidement. Pourtant, Diane Kruger et Sarah Poley apportent une belle sensibilité à un film qui est en cruellement dépourvu. Enfin, le cours sur les théories dites de "l'effet papillon", outre qu'il rappelle le film du même nom, tend à alourdir un mille-feuille appétissant à l'extérieur mais vite écœurant.
Cet objet hybride, peu satisfaisant mais pas totalement raté, est à découvrir si l'on veut voir un cinéaste "bien de chez nous" se frotter à un projet aussi hors nomes. Mais passé la curiosité légitime, on sortira de la salle frustré, se souvenant de la phrase finale du vieux Némo qui aurait pu accoucher d'un chef d’œuvre : "Nous nous ne sommes que les vies inventées d'un garçon de neuf ans".
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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