mercredi 15 avril 2015

Taxi Téhéran


"Je suis un cinéaste. Je ne peux rien faire d'autre que réaliser des films. La cinéma est ma manière de m'exprimer et ce qui donne un sens à ma vie. Rien ne peut m'empêcher de faire des films, et lorsque je me retrouve acculé, malgré toutes les craintes la nécessité de créer devient encore plus pressante. Le cinéma comme art est ce qui m'importe le plus. C'est pourquoi je dois continuer à filmer quelles que soient les circonstances, pour respecter ce en quoi je crois et me sentir vivant". Jafar Panahi

Ces mots du réalisateur iranien résument admirablement l'état dans lequel il se trouve aujourd'hui. Condamné à ne plus réaliser de films, écrire de scénarios, donner d'entretiens à la presse et sortir de l'Iran pour une durée indéterminée sous peine de vingt ans d'emprisonnement, Jafar Panahi accomplit, avec Taxi Téhéran (Ours d'Or au festival de Berlin), un geste politique et cinématographique d'une force peu commune. Si le pouvoir iranien ne veut plus de lui, alors c'est la civilisation iranienne qui rentrera dans sa voiture le temps d'un film. Installé au volant de son taxi, le cinéaste sillonne les rues de Téhéran et dresse un portrait personnel et sagace d'un pays pétri de contradictions. 

Jafar Panahi

Muni d'un dispositif de plusieurs caméras dissimulées dans son taxi, Panahi a ainsi pu tourner sans attirer l'attention. Une étrange liberté émane du film alors que le cinéaste est pourtant jugé "hors-la-loi". Il a convié des acteurs non-professionnels dont des connaissances et des amis pour ce qui ressemble à un faux documentaire. Une impression renforcée par l'habileté dont faire preuve le réalisateur en mélangeant la réalité et la fiction, certains passagers le reconnaissant tandis que d'autres le prenant pour un vrai chauffeur. Peu loquace, Jafar Panahi devient le spectateur de son film, écoutant les histoires qu'on lui raconte, les récriminations qu'on lui adresse, les encouragements discrets à la résistance. Une riche galerie de personnages à laquelle appartient sa nièce, une jeune fille au caractère bien trempé qui doit faire un exposé sur l'Iran. A travers elle et sa petite caméra, c'est toute l'absurdité du régime que dénonce subtilement la réalisateur. Une société tendue et violente qui brime la condition des femmes.

Nasrin Sotoudeh

A cet instant apparaît Nasrin Sotoudeh, une militante des droits de l'homme incarcérée durant trois années et interdite d'exercer son métier d'avocate. Elle critique "la société convenable" selon la loi iranienne dans laquelle les femmes n'ont pas le droit d'assister à un match de volley-ball masculin à l'instar de l'un des films précédents de Panahi, Hors-jeu, qui évoquait un cas similaire. A la fin de son parcours, elle dépose une rose sur le rebord du pare-brise symbolisant les amoureux du cinéma. Une magnifique image qui témoigne de l'importance vitale qu'accorde Panahi au Septième Art, à voir les nombreuses références à son métier, à ses films (un peu trop peut-être) et à cette devise qu'il professe à l'un de ses passagers : "Chaque film mérite d'être vu"

Malgré un procédé qui n'est pas inédit, Abbas Kiarostami l'ayant déjà pratiqué dans Ten, et dont Panahi se sent parfois à l'étroit, Taxi Téhéran est une oeuvre indispensable qui, par son caractère tristement singulier (il est interdit en Iran), ne peut pas se regarder comme n'importe quel film. L'écran noir qui le ponctue, glaçant, nous rappelle à quel point la liberté de s'exprimer est fondamentale. Une évidence que certains ont trop tendance à vouloir oublier. 

Antoine Jullien

Iran - 1h22
Réalisation et Scénario : Jafar Panahi
Avec : Jafar Panahi, Nasrin Sotoudeh. 


Disponible en DVD chez Memento Films

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire