La Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes a décidément frapper fort cette année en exposant Much Loved, un film cru et nécessaire sur la prostitution au Maroc, actuellement victime d'une odieuse campagne de dénigrement dans son pays (le film sortira en France en septembre) et la révélation Mustang, premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven. La prometteuse cinéaste signe une oeuvre dense, sensible, à l'énergie enivrante, sur la dure condition des femmes en Turquie.
L'action se déroule dans un petit village turc, au bord de la Mer Noire. En rentrant de l'école, des jeunes filles s'amusent avec des garçons sur la plage. Ces jeux insouciants vont provoquer la colère de la famille qui va décider de claquemurer les adolescentes dans leur maison devenue progressivement une prison. Les cours de pratiques ménagères remplacent l'école et les mariages commencent à s'arranger.
Le Mustang est dixit la réalisatrice, "un cheval sauvage qui symbolise parfaitement mes cinq héroïnes, leur tempérament indomptable, fougueux." Il est en effet l'incarnation de l'irrésistible vent de liberté qui souffle sur le film et ses personnages. La réalisatrice dénonce très clairement une société archaïque et rétrograde où la place de la femme semble définitivement se cantonner à la maison, en totale servitude, obligée de porter des robes "couleur de merde". Il est évidemment choquant de voir ces gamines, âgées d'à peine 16 ans, mariées contre leur gré. La cinéaste prend son sujet à bras-le-corps, allant jusqu'à démontrer l'absurdité de la situation lorsque l'un des couples fraichement mariés doit absolument prouver à la famille que la promise n'est plus vierge.
Tout ceci se déroule aujourd'hui dans une société qui préfère déscolariser les filles plutôt que de les éduquer et dont le regard qui est posé sur elles est insidieusement perverti par les hommes devenus bourreaux, avec la complicité des femmes qui se doivent de respecter les traditions. On pense bien sûr au Virgin Suicides de Sofia Coppola, autre histoire d'oppression dans l'Amérique des années 70. Mais le film se plaçait du point de vue des garçons alors que dans Mustang, nous sommes profondément attachés à ces cinq soeurs, et plus particulièrement à la dernière, la véritable héroïne qui ne veut pas finir comme les autres et qui va tout faire pour s'évader.
Deniz Gamze Ergüven aime les contrastes, en opposant intelligemment la caractère sordide de cette histoire à la clarté et à la beauté du lieu. Elle filme une sorte de prison apaisante mais n'hésite pas à aérer son récit en filmant une escapade lors d'un match de football, aussi joyeuse que cocasse. Malgré la dureté de certaines scènes, on est peu à peu envahi par cette atmosphère solaire et étonnamment sereine, amplifiée par la très belle musique de Warren Ellis (membre du groupe Nick Cave). Comme si la réalisatrice était persuadée que le génération qui l'a suivie, plus déterminée et moins soumise, saurait repousser les frontières de l'obscurantisme grâce à son insatiable soif d'émancipation. Ce message et la manière éclatante avec laquelle il est porté nous emporte et nous procure un bien fou.
Antoine Jullien
France / Turquie - 1h34
Réalisation : Deniz Gamze Ergüven - Scénario : Deniz Gamze Ergüven et Alice Winocour
Avec : Günes Nezihe Sensoy (Lale), Doga Zeynep Doguslu (Nur), Tugba Sunguroglu (Selma).
Disponible en DVD chez Ad Vitam
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