Comme un avion, le nouveau film de Bruno Poladydès, sort à une période particulièrement propice. L'été arrive, il fait chaud, l'air devient moite, le temps semble un peu au ralenti, quoi de mieux que d'aller flâner dans l'univers délicieusement intemporel du réalisateur de Dieu Seul me voit et Adieu Berthe. En racontant la parenthèse (dés)enchantée d'un quinquagénaire qui part vers des flots plus apaisants, le cinéaste interroge notre besoin impérieux d'évasion, avec une sensibilité et une drôlerie qui font mouche.
Le réalisateur interprète Michel, un infographiste passionné par l'aéropostale qui commande un jour un kayak en kit, lui rappelant le fuselage d'un avion. Il commence par s'entraîner au pagaiement, seul sur le toit de son immeuble, avant que sa femme ne le pousse à accomplir une traversée. Le voici alors embarqué sur les eaux d'une jolie rivière. Lors de sa première escale, il découvre une guinguette située le long de la rive. Il décide de s'y arrêter et installe sa tente pour une nuit. Mais l'endroit lui procure un tel réconfort qu'il a beaucoup de mal à le quitter.
Bruno Podalydès
Ce résumé pourrait laisser penser que Podalydès tombe dans un passéisme primaire alors que c'est tout le contraire. Il confronte la réalité d'une société hyperconnectée qui a fini par nous rendre prisonniers à une échappée bucolique vécue comme un temps de ressourcement passager. Le cinéaste s'amuse de ce décalage, à voir les séquences ou Michel, resté dans la guinguette, fait croire à sa femme qu'il continue de naviguer, lui postant des photos sur son téléphone alors que l'appareil indique qu'il n'a pas bougé. Même quand on veut fuir le réel, il nous rattrape sans cesse.
Sandrine Kiberlain et Bruno Podalydès
L'acteur-réalisateur, jusque là au second plan, laissant la part belle à son frère Denis, s'est donné pour la première fois le rôle titre et il a bien fait. Lunaire, doux rêveur et maladroit, il est le personnage idéal pour une flânerie existentielle et poétique. Sa passion de l'aviation et de Jean Mermoz et son attachement à l'enfance (il demeure un grand lecteur des Castors Juniors !) nous touchent autant qu'il nous amuse lors de séquences incongrues et burlesques, comme lorsque son kayak bifurque dans la mauvaise direction et se retrouve coincé en lisière d'un supermarché. Il est aussi très bien entouré, du tandem farfelu Michel Vuillermoz/Jean-Noël Brouté aux femmes qui partageront son expédition, d'Agnès Jaoui, la patronne de la guinguette, que l'on pas aussi bien filmée depuis longtemps et avec laquelle il met en place de malicieux jeux de piste, à Vimala Pons, celle qui pleure quand il pleut en passant par Sandrine Kiberlain, l'épouse encore amoureuse, qui tente d'injecter un brin de folie à son couple.
Bruno Podalydès réussit une prouesse car il s'agit d'un film sans but et direction précises, au gré du courant. Pourtant, on a aucune envie de quitter cette rivière, les personnages qui la peuplent, son atmosphère grisante, ses moments impromptus de danse endiablée. A la manière dont Michel retarde toujours son départ, on pense à Un Jour sans Fin, sauf que cette fois c'est lui qui ne veut pas partir. Avant finalement de retrouver sa femme dans une magnifique séquence, enveloppée par la voie rocailleuse d'Alain Bashung, l'une des plus belles scènes de retrouvailles qu'on ait vu depuis longtemps. Et qui dit tout de la personnalité de ce cinéaste décidément inclassable.
Antoine Jullien
France - 1h45
Réalisation et Scénario : Bruno Podalydès
Avec : Bruno Podalydès (Michel), Agnès Jaoui (Laëtitia), Sandrine Kiberlain (Rachel), Vimala Pons (Mila), Michel Vuillermoz (Christophe).
Disponible en DVD et Blu-Ray chez UGC
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