mercredi 14 mars 2012

38 témoins


En l'espace de quelques films, Le Havre est devenu une source d'inspiration pour les cinéastes. Après Aki Kaurismäki, Lucas Belvaux pose sa caméra dans cette ville atypique pour raconter un drame de la médiocrité ordinaire. A l'exact opposé du passéisme revendiqué du cinéaste finlandais, Lucas Belvaux inscrit la cité dans une réalité concrète. Un souci de réalisme qui caractérise son oeuvre et qui va révéler un sombre tableau de notre société. 

Alors qu'elle rentre d'un voyage en Chine, Louise (Sophie Quiton) découvre que sa rue a été le théâtre d'un crime. Une jeune fille a été assassinée et les habitants du quartier disent n'avoir rien vu ni entendu. Mais Pierre (Yvan Attal), le mari de Claire, va soudainement rompre cet unanimisme... 

Yvan Attal et Sophie Quinton

Lucas Belvaux filme d'abord la ville dans sa globalité, lui apportant une vérité en filmant le port et l'activité professionnelle de Pierre, lui qui est en charge des départs et des arrivées des bateaux. Les embruns de la mer viennent remuer le spectateur et rompre avec l'apparente banalité de ce quartier aux témoins absents. Par sa mise en scène très méthodique, Lucas Belvaux épouse la même trajectoire qu'il donne au décor, scrutant d'abord les âmes du Havre pour se rapprocher d'un couple en crise. Elle veut protéger son mari et ne le croit pas lorsqu'il prétend, contrairement aux trente-sept témoins auditionnés par la police, avoir entendu la victime crier au moment de mourir. La voie étranglée d'Yvan Attal racontant la scène fait basculer le récit et dévoile la réelle ambition du film : démasquer la lâcheté quotidienne.

Nicole Garcia et Yvan Attal

Le comédien, que l'on avait rarement vu aussi grave à l'écran, est la mauvaise conscience des personnages. Un homme qui va prendre le risque de se mettre à dos une population qui a voulu s'endormir ce soir-là, ne réagissant pas au moment où une femme était en train de se faire assassiner. Lucas Belvaux évacue peu à peu la traditionnelle recherche du coupable pour s'intéresser à notre propre culpabilité. Un point de vue original et audacieux qui permet au réalisateur de traiter finement du couple mis à l'épreuve devant la faiblesse de Pierre. 

Porté par des comédiens remarquables et une musique discrète mais prégnante, 38 témoins nous saisit lorsque la police reconstitue le meurtre. La puissance de la séquence, glaçante, est le point d'orgue du film. La profonde dimension humaine de cette histoire se fait jour avec son lot de mensonges et de conséquences irrémédiables. Lucas Belvaux se pose non pas en donneur de leçons mais en moraliste et nous met, spectateur, face à nos responsabilités. Un film inconfortable qui nous poursuit comme la brume havraise enveloppe ses habitants. 

Antoine Jullien

1 commentaire:

  1. Sauf qu'on ne connaît toujours pas l'identité de l'assassin à la fin du film, et qu'on se demande pourquoi Louise quitte Pierre...

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