mercredi 16 mars 2016

Les Ogres


Après son premier long métrage, Qu'un seul tienne et les autres suivront, qui laissait déjà augurer de belles promesses, la réalisatrice Léa Fehner monte d'un cran avec Les Ogres qui s'inspire très directement de l'histoire de sa famille. Soit une troupe de théâtre itinérant qui sillonne les routes de France. Grâce à cette cohorte de personnalités brindezingues, elle réalise une farandole joyeuse et grave, drôle et triste, riche d'une matière humaine qu'elle dévore avec un appétit de filmer très communicatif.

Ils ont mangé du théâtre et des kilomètres, apportant au public du rêve et du désordre. Ils sont une troupe soudée malgré les vicissitudes de chacun. Mais l'arrivée imminente d'un bébé et le retour d'une ancienne amante vont raviver des blessures que l'on croyait oubliées. 


Qu'il est compliqué de filmer un groupe ! Léa Fehner réussit superbement ce tour de force, donnant une place à chacun d'entre eux, avec une fougue et une tonicité enivrantes. Une troupe si vivante qu'on voudrait suivre instantanément même si on ne partage pas forcément leur douce folie. Car les personnages sont tous joyeusement fêlés, inconséquents et violents parfois, amoureux aussi, et qui partagent une envie commune, celle de donner au public le temps de s'évader. La réalisatrice le capte dès la séquence d'ouverture où la caméra se glisse dans les coulisses pour mieux nous faire profiter de la scène. Jusqu'à l'accident qui va chambouler ce petit monde. 

Adèle Haenel et Marc Barbé

Malgré sa profusion de protagonistes et d'intrigues, Léa Fehner ne se laisse jamais déborder par l'ampleur de son sujet. Elle aime tant filmer cette troupe de saltimbanques nourrie d'excès et de passions. Ici, les sentiments ne sont ni feutrés ni dissimulés, ils vous explosent à la figure comme des grenades dégoupillées et cette tension est le véritable moteur du film. Que ce soit lors d'une bataille de couscous qui dégénère ou du passage d'un troupeau de vaches envahissant, elle est toujours là et maintient l'attention du spectateur malgré les 2h23 de projection. La réalisatrice aurait certes pu éviter d'étirer certaines séquences mais la cohésion de son film en aurait souffert. 

Elle sait diriger sa propre famille (François et Inès Fehner, eux-mêmes issus du théâtre itinérant), entourée d'un groupe d'acteurs exceptionnels, de Marc Barbé à Adèle Haenel en passant par Lola Duenas. Leurs éclats de voix agitent le film mais soudain le silence se fait dans une chambre de maternité. Une séquence magnifique, pudique, presque secrète, qui fête encore et toujours la vie. Des personnages, "des ouvriers de joie" comme ils se définissent, qui, malgré les épreuves, ont l'énergie de les dépasser par le rire et la danse. Une flamboyante célébration du spectacle des êtres menée tambour-battant. 

Antoine Jullien

France - 2h23
Réalisation : Léa Fehner - Scénario : Léa Fehner et Catherine Paillé
Avec : Marc Barbé (M Deloyal), Adèle Haenel (Mona), François Fehner (François), Inès Fehner (Inès), Lola Duenas (Lola). 


Disponible en DVD chez Pyramide Vidéo.

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