lundi 16 décembre 2013

The Immigrant



On reconnaît parfois les grands films à leur discrète suprématie. The Immigrant, le cinquième long métrage de James Gray, est de cette classe là. Pas un plan qui ne soit pas pensé en termes de cinéma, pas une scène qui ne fasse pas sens. James Gray maîtrise son art à un degré tel qu'il atteint une forme de plénitude artistique, et dans un genre que l'on ne le voyait pas entreprendre, le mélodrame. Mais dans cette histoire d'une immigrée polonaise qui va tenter de vivre le "rêve américain" dans le New York des années 20, c'est aussi de ses origines familiales dont nous parle le cinéaste avec un lyrisme peu commun.

Il y a d'abord cette sublime photographie de Darius Khondji, inspirée du Caravage, qui recrée l'époque comme très peu de films avant lui. A la vision de ces couleurs mordorées et de ces ténébreux clairs obscurs, on ne peut s'empêcher de penser au Parrain II qui demeure l'une des influences évidentes de James Gray. Mais si chaque plan évoque les tableaux des plus grands maîtres, le cinéaste y injecte de la vie grâce à l'expressivité de ses comédiens, à commencer par Marion Cotillard. Le visage de l'actrice filmé par la caméra de James Gray n'a jamais paru aussi intense, et le mimétisme avec la vedette du cinéma muet Liliane Gish n'en n'est que plus troublant. L'actrice dégage autant de pureté que d’ambiguïté, et c'est ce qui intéresse avant tout James Gray et intrigue le spectateur.  Le cinéaste n'en fait pas une simple victime d'un souteneur amoureux d'elle (magnétique Joaquin Phoenix) qui n'aurait que la prostitution comme échappatoire. Il tisse entre ces deux personnages des rapports complexes nourris de fascination et de répulsion, où l'amour n'a pas sa place. Il nous offre d'ailleurs une des scènes les plus bouleversantes que l'on ait pu voir sur un écran lorsque Joaquin Phoenix fait comprendre à Marion Cotillard qu'elle doit offrir ses charmes pour espérer retrouver sa sœur malade. Avec une épure incroyable, James Gray nous fait ressentir toute la dimension tragique de cet instant. 

 Marion Cotillard et Joaquin Phoenix

Le cinéaste a dit aussi s'être inspiré d'un opéra de Puccini pour écrire son scénario. La dimension opératique était déjà à l’œuvre dans The Yards et La Nuit nous appartient où, à travers le film noir, James Gray nous dépeignait les déchirements et les trahisons d'un clan familial et d'un couple. Le cinéaste revient donc à ses obsessions, en les transcendant à nouveau. A la vue de la quantité de films parfois bons, parfois médiocres que l'on voit défiler toutes les semaines, il est tout de même sidérant de voir à quel point James Gray se situe au-dessus du lot. La majesté de sa mise en scène, ni pompeuse, ni écrasante, subjuge littéralement jusqu'au dernier plan, magistral, qui résume peut-être à lui seul les fondements du "rêve américain". 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h57
Réalisation et Scénario : James Gray 
Avec : Marion Cotillard (Ewa Cybulski), Joaquin Phoenix (Bruno Weiss), Jeremy Renner (Orlando le magicien).



Film disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Vidéo.

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