mardi 21 septembre 2010

Des Hommes et des Dieux


L'universel et le sacré. Délicate mission pour Xavier Beauvois que d'unir ces deux absolus. En racontant le destin tragique des moines cisterciens de Tibhirine, le réalisateur souhaitait dépasser les frontières sociales et religieuses pour tenter de percer le mystère de la foi. Un exercice d'équilibriste tenu jusqu'au bout. Peut-être trop.

En 1996, le GIA islamique sème la terreur en Algérie. Devant les massacres à répétition, les moines s'interrogent sur leur sort. Doivent-ils quitter le pays et abandonner la population dont ils sont le seul recours ? Où bien rester, au-delà de toutes les considérations ?

Ce dilemme, Xavier Beauvois le raconte crescendo. Il s'intéresse d'abord à la vie des religieux à travers leurs activités quotidiennes. Avec une économie de moyens remarquable, le cinéaste filme superbement le chant, la préparation d'un repas, la cultivation du jardin.  Il montre également leur intégration au sein de la population et l'aide qu'ils apportent aux habitants grâce au personnage du médecin joué par le facétieux et sublime Michael Lonsdale.

Lambert Wilson et Michael Lonsdale 

Plus la terreur s'amplifie et plus les dissensions entre les moines se font jour. Certains veulent partir du monastère, d'autres rester coûte que coûte. Ces conversations, rares moments de paroles dans un monde de silence, donnent la parole à des hommes qui ne veulent pas renoncer à cet amour "plus grand", quitte à se montrer presque étrangers au chaos qui les entoure.

Mais Beauvois a l'intelligence de faire surgir des contradictions. Ainsi, le personnage rebelle d'Olivier Rabourdin, qui doute de plus en plus et ne veut pas se "faire massacrer gentiment", révèle bien le terrible choix que ces hommes doivent entreprendre. La mort est au bout du chemin, ils le savent, et malgré tout, ils accepteront leur destinée.

Olivier Rabourdin

Cependant, aucune trace d'héroïsation dans ces portraits. Même le plus grand des athées ne peut rester insensible devant l'humanisme des moines. De plus, Xavier Beauvois sait les rendre vivants en les filmant comme dans un tableau sans pour autant les momifier. Et il trouve, lors de deux grandes scènes, une force de mise en scène qui résume à elle seule leur engagement : le chant couvert par le bruit assourdissant des hélicoptères de l'armée et le dernier repas accompagné du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Là, un miracle s'opère. Le cinéaste, aidé par sa chef opératrice Caroline Champetier, capte, en gros plans, les visages de ces hommes, sereins au début, puis bouleversés.

Grand Prix du festival de Cannes, Des Hommes et des Dieux est un film puissant. Qu'est-ce qui altère alors (modestement) notre jugement ? Des scènes à l'extérieur du monastère moins convaincantes ? Une interprétation à géométrie variable ? Quelques longueurs contemplatives ? Non, sans doute pas. Mais que Xavier Beauvois, dans sa noble ambition, ait réalisé une belle oeuvre dénuée d'audace (on ne saura rien sur les auteurs du massacre, par exemple) laisse pointer un bémol. Les partis pris forts ont parfois du bon.

Antoine Jullien

1 commentaire:

  1. J’avoue avoir attendu l’avis de notre cher critique avant de regarder ce film. On a vu tellement de débats passionnés, parfois irrationnels autour de cette affaire, que, sincèrement, beaucoup d’appréhension en moi était, pour paraphraser Maître Yoda.
    Le sujet est politique, religieux, sentimental, il met nos aptitudes de distinction et de discernement à rude épreuve. Il faut dire que rien que l’invocation du sujet plonge les deux pays en crise diplomatique durant des mois. La ‘’vérité vraie’’ n’étant détenue que par une poignée d’hommes, très probablement pas français, le réalisateur ne pouvait prendre le parti d’une quelconque accusation, de pointer le doigt sur un supposé coupable.
    Je n’ai pas encore vu le film, mais j’irai le voir, certainement, après la lecture de cette critique, qui pour moi ce distingue de la plupart des autres, qui mêlent éditoriaux politiques à faits historiques et polémiques diplomatiques. On parle bien de la vie des moines, de leur relation avec une population dénuée, désemparée, alors que tel est aussi leur état. On parle de leur choix qui, de loin, semblent nous faire peur, car à un moment ou un autre de notre vie, on a à faire de tels choix, à décider de notre destin et des choix par rapport à nos convictions. La force de ces hommes est d’avoir vécu jusqu’au bout dans leur foi, leur idée. D’avoir été autant humains dans leurs peurs et anxiétés que nous tous, mais d’avoir su s’élever au-delà.
    Connaissant le sujet réel, je dirais simplement, que les moines n’ont pas saisi la puissance du durcissement à l’époque, prélude aux grands massacres de 1997, et que ce changement subtil, ajouté à leur âme élevée et leur foi dans le devoir, ont conduit à un destin macabre.
    Pour finir, simplement, j’irai voir le film.
    Merci pour cette critique

    RépondreSupprimer